Le 5 octobre 2020, la Belgique est soumise à l’influence d’une dépression située sur les Îles Britanniques. Celle-ci fait partie intégrante d’un large complexe dépressionnaire qui s’étire du Groenland à la Scandinavie. Durant la matinée, une occlusion traverse notre pays d’ouest en est, laissant place pendant l’après midi à de belles éclaircies entrecoupées de développements cumuliformes. Cependant, en fin d’après-midi, au passage d’un creux d’altitude auquel s’associe une ligne de convergence, des averses se forment sur le nord-ouest de la Belgique et l’ouest des Pays-Bas.
Situation synoptique du 5 octobre 2020 à 14h00. Source : KNMI
C’est alors que la situation surprend nombre d’observateurs. En effet, lorsque ces averses arrivent sur la province d’Anvers, elles se renforcent et deviennent orageuses. Ainsi, trois orages se succèdent en peu de temps et deux d’entre eux évoluent en supercellules qui entrent en phase tornadique. L’un des tourbillons touche Braaschaat tandis que l’autre frappe Kapellen, à moins de 6 kilomètres de distance l’un de l’autre et en un peu plus d’une heure de temps.
Orage supercellulaire observé depuis Berendrecht en province d’Anvers, le 5 octobre 2020. Crédit photo : Elena Berenguer
De fortes précipitations sont aussi observées au passage des orages, ainsi que des chutes de grêle. Quelques inondations de voiries sont reportées tandis que le pluviomètre de Kapellen enregistre d’ailleurs 33,8 mm après le passage des trois cellules.
Cumuls de pluie sur le nord de la Belgique le 5 octobre 2020. Source : Waterinfo.be
Comme visible sur l’image ci-dessus, les cumuls de pluie ont localement été supérieur à 50 mm. En outre, quelques orages sont aussi observés aux Pays-Bas ainsi que dans la région de Dour (province de Hainaut) mais ils ne présentent aucune caractéristique particulière.
Analyse de la situation météorologique
Sur le flanc sud de la dépression, une branche du jet stream circule sur le nord-ouest de la France, plaçant la Belgique en sortie gauche. La province d’Anvers bénéficie aussi d’une divergence d’altitude bien qu’elle ne soit pas très imposante. La présence du creux d’altitude et d’air froid d’origine polaire (maritime) accentue l’instabilité qui atteint entre 400 et 500 J/kg, une valeur assez faible mais largement suffisante pour permettre le développement d’orages, surtout quand la dynamique est importante.
On remarque également que les vents d’altitude soufflent de nord-ouest à 300 hPa tandis qu’à 700 hPa ils soufflent d’ouest, à 925 hPa de sud-ouest et au niveau du sol de sud-sud-ouest. Il existe donc un important « veering » selon l’altitude. Enfin, les forçages nécessaires au déclenchement de la convection sont apportées par le passage de la ligne de convergence.
Direction et vitesse du vent à 300 HPa le 5 octobre 2020 à 18h00 selon le modèle Arome (à gauche) et direction et vitesse du vent à 10 mètres le 5 octobre 2020 à 18h00
selon le modèle Arome (à droite). Source : Meteociel
Ces orages supercellulaires se sont formés dans la région la plus propice aux développements orageux, se situant à l’endroit où la combinaison entre forçages, dynamique d’altitude et instabilité apparaît comme la plus optimale. Ceci explique pourquoi les autres orages qui se sont développés sont restés anecdotiques et sans sévérité.
Analyse des cellules
A 15h30, nous retrouvons une zone de pluie qui concerne l’ouest des Pays-Bas et qui se prolonge en Belgique d’Anvers à Gand. On note également la naissance d’une averse isolée au nord d’Aalter (province de Flandre Orientale). A 16h00, la zone de pluie concerne le nord d’Anvers tandis que la cellule isolée se trouve sur Zelzate. En province de Flandre Occidentale, une autre averse se développe sur Bruges.
A 16h25, les deux cellules deviennent orageuses en renforcent brusquement ainsi qu’une autre comprise sur la pointe sud de la zone de pluie. Cette dernière circule de Kapellen à Turnhout et semble par moment adopter des caractéristiques supercellulaires avant de s’affaiblir en arrivant à la frontière hollandaise. Les cellules de Zelzate et de Bruges progressent en Zélande le long de la frontière belgo-hollandaise. La première se renforce à nouveau lorsque qu’elle franchit l’Escaut en province d’Anvers vers 17h15. Un nuage mur imposant est alors visible et peu après, une tornade cause des dégâts à Brasschaat autour de 17h45.
Nuage mur de la supercellule LT visible depuis la tour de contrôle de l’aéroport d’Anvers le 5 octobre 2020 à 17h42 (à gauche) et à 17h43 (à droite), soit quelques minutes
avant la formation de la tornade. Crédit photos : Samina Verhoeven – skeyes
Le caractère supercellulaire de l’orage ne fait guère de doute, avec un écho en crochet visible sur les images radar ainsi que la forme caractéristique en V. Un dipôle marqué est aussi indiqué sur les images du radar Doppler. De plus, les photographies et vidéos des témoins montrent le passage d’un abaissement nuageux rotatif. Les conditions permettent d’établir qu’il s’agit d’une supercellule LT. Sur les images ci-dessous, nous pouvons remarquer la forme en V et l’écho en crochet typiques des supercellules au moment où la tornade de Braaschaat sévit. Elle est localisée par la flèche « Tor 1 ». En outre, la première cellule est visible sur la frontière hollandaise, identifiée par le « 1 ». La troisième cellule n’est pas encore apparue sur les images à ce moment-là.
Images radar du 5 octobre 2020 à 17h40 (à gauche) et à 17h45 (à droite). Source : Kachelmannwetter
À 18h15, nous retrouvons l’orage « 2 »entre Zoersel et Turnhout mais il a alors perdu ses caractéristiques supercellulaires. Au même moment, la troisième et dernière cellule entre en province d’Anvers en se renforçant. Elle présente une magnifique structure avec un nuage mur particulièrement développé. Les photographies et vidéos sont impressionnantes et cet orage est de loin le plus esthétique des trois. Par moment, un large cône est visible sous le courant ascendant et finalement une tornade frappe Kapellen vers 18h55. Heureusement, elle est de faible intensité et progresse rapidement dans des zones non-habitées. Cette tornade est parfaitement visible car, comme pour la précédente, les précipitations ne masquent pas sa présence.
Nuage mur de la supercellule LT visible depuis la tour de contrôle de l’aéroport d’Anvers, le 5 octobre 2020 à 18h53 (à gauche) et 18h55 (à droite) au moment où
un tuba est déjà signalé. Crédit photos : Samina Verhoeven – skeyes
Cette supercellule également de type LT est visible sur les images radar par une forme caractéristique en V et la présence d’un écho en crochet. Comme la précédente, un dipôle imposant est observable sur les images du radar Doppler. Elle est identifié par le « 3 » et passe légèrement plus au nord que l’orage « 2 ». Cependant, au moment de la survenue de la tornade, les images radar ne sont pas aussi flagrantes. Les images ci-dessous montrent les caractéristiques supercellulaires ainsi que la localisation de la tornade, matérialisée par la flèche « Tor 2 ».
Images radar du 5 octobre 2020 à 18h35 (à gauche) et à 18h55 (à droite). Source : Kachelmannwetter
Une fois Brecht atteint, des images montrent encore des caractéristiques supercellulaires. Par après, la cellule semble commencer à se dissiper à partir de 19h30, à la faveur de la disparition du jour, mettant un terme à cet épisode surprenant et inattendu pour les nombreux témoins.
Nuage mur observé depuis l’E19 à Brecht. Crédit photo : Michaël Van Linden
Analyse des tornades
La tornade de Braaschaat semble n’avoir parcouru qu’une distance assez courte (600 mètres au minimum) pour une largeur ne dépassant pas une dizaine de mètres, se déplaçant de l’ouest vers l’est. Elle ne semblait également pas entièrement condensée. Son existence est prouvée, en plus de dégâts convergents, par des témoignages.
Une personne de Schoten (Zamenhoflaan) prend la photo ci-dessous du nuage mur en précisant « Une formation nuageuse très menaçante et particulière est arrivée un peu avant 18h00. La tornade est passée juste au nord, mais elle n’a pas vraiment touché le sol. Pourtant des dégâts sont observés au parc communal de Braaschaat et sur la Helshoutbaan qui a été fermée. J’ai vite pris une photo car j’ai pensé que c’était éphémère. Heureusement, aucun tourbillon n’est passé chez moi, j’ai été soulagée quand le ciel s’est éclairci » (source : Nieuwsblad.be).
Abaissement nuageux observé depuis Schoten, le 5 octobre 2020 à 17h45. Crédit photo : Viviane Roefs
La photo ci-dessus, prise au moment où la tornade sévit à Braaschaat, est malheureusement partiellement masquée. Cependant, nous pouvons aisément deviner le nuage mur du courant ascendant tandis que l’angle de vue est exactement orienté vers la zone où des dommages ont été observés. Il est donc très probable qu’un contact avec le sol existe à ce moment-là. En outre, des observateurs de skeyes à l’aéroport d’Anvers signalent que des lambeaux de fractus sont aspirés depuis le sol, visibles grâce aux caméras haute résolution.
Un autre témoin, qui se trouvait à proximité du parc de Braaschaat, décrit « un tourbillon qui est passé devant ses yeux en déracinant des arbres et en emportant des branches » (source : ATV). Au vu de ces éléments, il ne fait guère de doute qu’une tornade est bel et bien passée.
Parcours de la tornade de Braaschaat du 5 octobre 2020 (ligne jaune). En l’absence d’une enquête de terrain, il ne s’agit que d’une distance
minimale certaine. Le point de géolocalisation indique l’endroit de la prise de vue de la photo précédente. Source de la carte : Google Maps
Au niveau des dégâts, par chance, c’est une zone boisée qui a été touchée soit le parc de Braaschaat. Mais les dommages sont importants avec des branches arrachées, des arbres déracinés ou sectionnés, parfois présentant de gros diamètres comme des hêtres. Une maison a aussi été endommagée, notamment par la chute d’un arbre sur la Helshoutbaan. Au vu de certains arbres imposants brisés, l’intensité est estimée au niveau F1-T2.
Arbres sectionnés à Braaschaat par une tornade, le 5 octobre 2020. Source et crédit photo : 112photographie.be
Dégâts observés sur les arbres du parc de Braaschaat suite au passage de la tornade. Source et crédit photo : 112fotographie.be
La nationale 121 coupée par la chute d’arbres et de branches suite au passage de la tornade entre Braaschaat et
Elshout, le 5 octobre 2020. Source et crédit photo : 112fotographie.be
La tornade de Kapellen ne permet aucun doute sur son existence. Elle a été abondamment filmée et photographiée, car plus esthétique, plus impressionnante et entièrement condensée. Elle est notamment visible depuis Ekeren, Hoevenen et Stabroek.
Tornade à Kapellen vue depuis Ekeren, le 5 octobre 2020. Capture d’écran d’une vidéo de Martijn Peters
Elle s’est apparemment formée au nord-est de Kapellen, pour toucher la Van Haeftenlaan, la Booschaertdre et la Heidestraat. Des arbres sont déracinés et des branches brisées. Quelques habitations subissent aussi de légers dommages, avec des éléments de jardins emportés et un revêtement en roofing arraché en partie. L’intensité est faible et estimée au niveau F0-T1.
Saule sectionné par la tornade de Kapellen, le 5 octobre 2020. Capture d’écran d’un reportage d’ATV
Dégâts engendrés par la tornade de Kapellen, le 5 octobre 2020. Capture d’écran d’un reportage d’ATV
Parcours de la tornade de Kapellen du 5 octobre 2020 (ligne jaune). Il s’agit également de la distance minimale certaine. Source de la carte : Google Maps
Après environ 300 mètres à travers ce quartier résidentiel, la tornade progresse vers l’est à travers une zone naturelle boisée dans laquelle nous perdons sa trace. Mais au vu des vidéos, le tourbillon reste au sol plusieurs minutes, ce qui montrerait qu’il a continué son parcours à travers cette zone. Trois kilomètres plus loin, le village de Béthanie se trouve sur la trajectoire de la tornade, mais comme aucun dégât n’y a été reporté, nous pouvons supposer que le vortex s’est dissipé entretemps. Il se peut également que la tornade ait touché le sol avant la zone mentionnée. En effet, certaines vidéos montrent un tourbillon qui semble toucher le sol et se rétracter à plusieurs reprises. Mais en l’absence d’une enquête de terrain, cela ne peut pas être prouvé.
En outre, il n’a pas été facile de différencier ce tourbillon de celui de Braaschaat. Malgré la faible distance entre les deux couloirs de dégâts (5,5 à 6 kilomètres), des incohérences ont été relevées, notamment sur la direction et le créneau horaire. C’est ainsi qu’une analyse de tous les éléments en notre possession nous a permis de différencier les deux événements. En effet, alors que les témoignages à Braaschaat parlent tous d’un phénomène survenu avant 18h00, à Kapellen, le phénomène est décrit entre 18h00 et 19h00, le plus souvent même ente 18h30 et 19h00. Cela pose déjà un problème puisque le tourbillon n’aurait jamais pu se déplacer du sud-est vers le nord-ouest, depuis Braaschaat vers Kapellen. Il est vrai que le timing énoncé par les témoins est en général à prendre avec des pincettes et sans autres preuves, il serait impertinent de séparer les deux événements. Mais le fait est que les deux couloirs de dégâts orientés ouest-est empêchent la connexion entre ces deux localités.
Autre exemple, l’angle de vue des vidéos montrant la tornade de Kapellen exclut le fait que cette dernière ait pu toucher Braaschaat. Un argumentaire en ce sens est apporté par la vidéo ci-dessous. Filmée depuis Ekeren en direction du nord (vers Kappelen), nous voyons la tornade s’éloigner vers le nord-est. Alors que Braaschaat se situe en dehors du champ de vision, sur la droite en direction de l’est. Dès lors, il est pratiquement impossible que la tornade puisse faire un bond d’un coup sur près de 6 kilomètres vers le sud.
Comparaison du parcours des tornades de Braaschaat et de Kapellen du 5 octobre 2020 (à droite). L’image de gauche, une capture d’écran de Martijn Peters est géolocalisée par le pointeur.
On peut remarquer que l’angle de vue correspond parfaitement à la tornade de Kapellen, mais exclu que la tornade ait pu toucher Braaschaaat, situé complètement à droite de la prise de vue.
Source de la carte : Google Maps
De même, les images radar montrent (grâce aux diamètres restreints caractéristiques des supercellules LT) que la troisième cellule, celle responsable de la tornade de Kapellen, n’a jamais concerné la zone touchée par le tourbillon de Braaschaat. Comme le prouvent les images suivantes, il est difficile à concevoir que la tornade « 2 » ait pu réussir à se déplacer vers le sud-est pour atteindre l’endroit de la tornade « 1 ».
Image radar du 5 octobre 2020 à 18h55 (à gauche) et à 19h05 (à droite). Source : Kachelmannwetter
Pour obtenir davantage d’informations, nous vous invitons à consulter les liens ci-dessous. Malheureusement, comme la presse confond les deux phénomènes tourbillonnaires, nous ne pouvons pas vous proposer une sélection différente.