Déroulement de l’épisode
Durant la nuit du 17 au 18 août 2017, un front froid ondulant concerne l’ouest de la Belgique et progresse lentement vers l’est. Vers midi, il recouvre le pays du centre à l’est. À l’arrière de celui-ci, des averses se forment sur un creux de surface, formant une ligne allant du sud-ouest de Maubeuge (France) à Meppel (Pays-Bas). Au sein de celle-ci, une tornade touche Neuf-Mesnil (Maubeuge) en France, pas très loin de la frontière belge vers 14h00. Elle endommage légèrement quelques toitures ainsi que du mobilier de jardin. Il semblerait qu’elle n’ait parcouru que quelques centaines de mètres. Autour de 16h00, le front froid quitte la Belgique pour l’Allemagne. Ensuite, en Belgique, c’est seulement en fin d’après midi que la convection commence à se mettre en place sur la ligne de convergence post-frontale (front occlus). Cela débutant en province d’Anvers. En effet, aux alentours de 17h30, plusieurs cellules orageuses se développent pour rapidement former un axe orageux qui se prolonge dans les Pays-Bas. Ces orages développent toutefois qu’une faible activité.
Après, autour de 18h20, la convection démarre plus au sud cette fois, soit en province de Hainaut et de Brabant Wallon où plusieurs cellules se présentent en avançant vers le nord-est. Celles-ci, associées à la ligne post-frontale, vont profiter du contexte très dynamique qui règne sur le nord-est de la Belgique à ce moment-là mais aussi de l’humidité laissée par le passage d’une perturbation, quelques heures plus tôt, associée aux fronts chaud et froid qui se sont succédés précédemment.
Les orages vont rapidement s’organiser en une ligne vers 18h50. Cependant, la relative faiblesse de l’instabilité ne permet pas à toutes les cellules présentes au sein de cette ligne de perdurer dans le temps, la plupart sont d’ailleurs habitées par une faible activité. Mais certaines d’entre elles se démarquent en profitant de la dynamique. Ainsi, une cellule née vers la région de Binche (province de Hainaut) aux alentours de 18h20 s’intensifie une fois arrivée vers la région de Marbais en province de Brabant Wallon. Aux environs de 19h10, des rafales de vent causent quelques dégâts à Thorembais-Saint-Trond (dont un arbre qui tombe dans le sens inverse au flux directeur et un abri de bus tordu en font partie).
Image issue du radar des précipitations à 19h05. Thorembais-Saint-Trond est localisé par le point rouge. Source : KNMI
Après avoir effectué une enquête de terrain, il s’avère qu’il n’y a probablement pas eu de phénomène tourbillonnaire, ces dégâts étant liés au fort cisaillement des vents dans les (très) basses couches. Ceux-ci seront également observés à Jodoigne-Souveraine (toujours au Brabant Wallon) où quelques dégâts à la végétation sont observés. D’ailleurs, à proximité de l’orage, un fort « inflow » (flux d’air se déplaçant en direction de l’orage via le phénomène d’aspiration) est observé.
Par la suite, la cellule faiblit sur la région d’Orp-Jauche tandis qu’une autre s’intensifie vers Beauvechain. Une rafale à 65 km/h y est d’ailleurs enregistrée. À 19h20, elle s’intensifie brusquement vers Tirlemont en province de Brabant Flamand et prend toute l’énergie du premier orage situé alors sur Orp-Jauche en province du Brabant Wallon. Par conséquent, ce dernier s’affaiblit de plus en plus. Mais autour de 19h30, alors qu’il est en pleine phase de dissipation, le cumulonimbus produit une tornade modérée qui touche Gingelom en province de Limbourg, certainement aidé par le fort cisaillement des basses couches observé précédemment.
Image issue du radar des précipitations à 19h30. Gingelom est localisé par le point rouge. Source : KNMI
Par la suite, cet orage disparaît et celui situé au nord continue sa progression en touchant Hasselt en province de Limbourg vers 19h50. De fortes pluies provoquent des inondations dans toute l’agglomération où de nombreuses caves et voiries se retrouvent sous 50 cm d’eau. Par la suite, l’orage s’affaiblit progressivement mais d’autres cellules s’activent sur toute la ligne de convergence, formant un axe orageux de Charleville-Mézière en France à Arnhem aux Pays-Bas mais sans provoquer de phénomènes sévères.
Image issue du radar des précipitations à 20h05. Source : KNMI
Celle-ci quitte la Belgique peu après 21h00 sans provoquer d’autres phénomènes venteux connus. Le sud de la ligne se désagrège rapidement mais la partie nord située à la frontière germano-hollandaise profite de la forte dynamique qui est présente sur cette région pour continuer sa route vers le nord-est. La ligne orageuse évolue même temporairement en structure LEWP à l’ouest de Dortmund en Allemagne avant de s’y effondrer aux alentours de 22h45.
Précisions sur l’analyse de l’orage producteur de la tornade
La formation de cette tornade demeure assez difficile à cerner mais il semblerait que celle-ci ne soit pas issue d’une franche rotation de l’orage en lui-même mais plutôt d’une rotation présente dans les très basses couches due à la présence de forts cisaillements. Rotation qui aurait permis à une tornade de se développer assez brièvement. Le niveau LCL (niveau de condensation) bas, quant à lui, aurait permis à la base de l’orage d’être assez proche de la surface, facilitant le contact du tuba avec le sol. Malgré l’accessibilité aux archives Doppler issues du site Kachelmanwetter, la distance très importante entre la cellule étudiée et le radar allemand ne nous permet pas d’analyser correctement la cellule incriminée. De ce fait, nos recherches se sont limitées aux archives radars « traditionnelles ».
Malgré tout, les recherches effectuées nous amène à penser que la tornade ne serait pas d’origine mésocyclonique mais bien de type « B » (landspout).
Cependant, si à l’avenir nous disposons d’images fiables de radars Doppler nous permettant d’analyser correctement l’orage, il se peut que l’on modifie nos conclusions sur l’origine de l’orage producteur du tourbillon et donc de la tornade elle-même.
Analyse du contexte météorologique
Analyse générale
En matinée et en début d’après-midi, une ondulation à caractère de front chaud concerne une franche partie centre-est de la Belgique en amenant un temps couvert et pluvieux mais relativement doux.
Situation atmosphérique du 18 août 2017 à 8h00. Source : KNMI
En cours d’après-midi, cette ondulation se décale rapidement vers le sud-est des Pays-Bas et l’Allemagne en laissant place à des courants plus frais, associés au passage rapide d’un front froid.
Situation atmosphérique du 18 août 2017 à 14h00. Source – KNMI
À l’arrière de celui-ci, un front occlus associé à un talweg d’altitude traverse également le pays d’ouest en est jusqu’en soirée et l’instabilité s’avère suffisante au développement d’averses parfois orageuses qui vont rapidement s’organiser en ligne. Temporairement, il est possible que la ligne ait adopté une évolution en LEWP, cela essentiellement sur la province du Limbourg. La relative faiblesse de l’instabilité ne permettra cependant pas à celle-ci de garder une franche organisation. Seules quelques cellules orageuses au sein de cette ligne vont parvenir à perdurer dans le temps et s’accompagner de phénomènes électriques. L’une d’entre elle, circulant sur la région de Landen et Gingelom entre 19h25 et 19h40, va produire une tornade sur la dernière commune citée, située en province de Limbourg.
Analyse fine
Lors du passage du front froid, la température subit une baisse. En prenant, par exemple, la station de Beauvechain (province de Brabant Wallon), on passe ainsi d’une température de 19.1°C vers 13h00 à une température de 16.3°C vers 15h00. À Schaffen (province de Brabant Flamand), la différence est encore plus nette avec 20°C relevés à 13h00 et 16.4°C à 15h00.
Cependant, après le rapide passage du front froid, une nouvelle hausse des températures est tout d’abord observée sur l’ouest du pays avant de concerner le centre et l’est. Cette hausse de températures est due au passage d’une ligne de convergence post-frontale (plus précisément du front occlus).
De ce fait, le potentiel instable devient plus marqué en seconde partie de journée et en soirée. En effet, tandis que de l’air doux circule dans les basses couches, les courants en altitude sont de plus en plus froids à l’approche d’un talweg.
En outre, la dynamique d’altitude s’accentue fortement avec la circulation d’un courant jet vigoureux. En soirée, c’est toute une franche partie est de la Belgique qui va baigner dans une atmosphère très dynamique.
Courant jet à 300 HPa à 14h00. Source : Meteociel
De plus, alors que la ligne post-frontale progresse assez rapidement d’ouest en est, un creux de surface se positionne sur le nord-est de la Belgique. Celui-ci, dont le creusement est plus que modeste (environ 1 hPa par heure), pointe à 1011.7 hPa sur la province du Limbourg entre 19 et 20 heures.
Le passage du creux a surtout pour effet d’orienter le flux au secteur sud à l’avant de celui-ci et au secteur ouest à l’arrière. Cela amenant d’une part, un apport supplémentaire de courants doux et humides dans les basses couches et d’autre part, un cisaillement directionnel dans les très basses couches. En outre, cela a pour effet de faire baisser le niveau LCL (niveau de condensation) et donc la base des nuages.
Dans le même temps, les vents s’accentuent sur les premiers kilomètres d’altitude avec la mise en place d’un courant jet de basses couches. Les conditions réunies sont ainsi favorables à la survenue de phénomènes venteux vigoureux.
Analyse de la tornade
L’enquête de terrain menée par notre collectif met en avant le passage d’une tornade à déplacement rapide mais surtout très brève. Celle-ci n’ayant, en effet, atteint le sol que sur quelques dizaines de mètres tout au plus. Heureusement d’ailleurs car ce fut déjà suffisant pour provoquer des dommages assez importants à des toitures, ce qui plaide en faveur du passage d’un tourbillon, d’autant plus que les dégâts sont très localisés.
Légende : ligne jaune, trajet probable de la tornade. Source de la carte : Google Maps
L’endroit précis où la tornade a commencé son parcours n’a pas été identifié mais il semblerait que celle-ci ait démarré son trajet un peu avant la Landenstraat (1) dans des champs et des prairies. Déjà, la végétation herbacée montre une convergence des vents. Une fois passé la rue (2), la tornade s’abaisse et provoque des dégâts conséquents sur la toiture d’une habitation (3).
Pan de toiture d’une habitation entièrement envolé suite au passage de la tornade de Gingelom,
en province de Limbourg, le 18 août 2017. Source : Nieuws Sint Truiden
En effet, une partie du pan de la toiture gauche s’envole et le pan de droite s’arrache complètement, avec une partie de la charpente, sur les trois quarts de la longueur de la toiture. L’intensité est estimée au niveau F1/T3, proche du F2/T4. Les débris endommagent deux véhicules et brisent des fenêtres de la maison voisine à droite. Les deux habitations situées de part et d’autre présentent également des dégâts à leur toiture mais beaucoup plus légers avec juste des tuiles envolées qui sont retombées sur deux voitures, cela causant quelques dommages.
Dégâts observés suite au passage de la tornade de Gingelom le 18 août 2017. Une voiture a été transpercée par des éléments de charpente.
Véhicule endommagé par des débris issus de la toiture d’une habitation à Gingelom.
La tornade ne semble pas avoir une largeur de plus de 10 mètres. Cependant, la nature du phénomène est confirmée par la convergence des dégâts. Effectivement, des branches brisées ainsi que des arbustes couchés sont attirés vers le centre du couloir de dégâts, depuis les maisons voisines de celle décoiffée. Les mêmes observations sont réalisées sur du mobilier de jardin et des palissades en bois arrachées. De plus, une aspiration est mise en évidence par le décrochement de certaines structures, notamment des moustiquaires et une porte d’un abri de jardin.
Enfin, élément essentiel, des débris d’ardoises sont retrouvés projeté dans le sens inverse à celui du déplacement du phénomène. Ainsi, des débris sont retrouvé en amont de la route dans la prairie ainsi que contre la façade de la maison touchée, censée être protégée du vent.
Débris déplacés dans le sens inverse du flux directeur. Des morceaux d’ardoises et de terre ont été projeté sur la façade
d’une maison pourtant censée être protégée du vent.
Ensuite, la tornade semble perdre rapidement le contact avec le sol (4) après seulement quelques dizaines de mètres parcourus. Par après, le muret d’une ferme s’écroule (5) et quelques tuiles sont déplacées sur plusieurs habitations (6) au niveau de la Regentwijk. Par contre, la tornade n’aurait que survolé la zone sans toucher le sol. L’intensité est estimée au niveau F0/T0. Par la suite, toute trace connue de la tornade disparaît (7) avant la Steenweg mais l’endroit exact n’a pas pu être identifié.
Attention toutefois que les points 5 et 6 ne sont peut-être pas placés au bon endroit car les dégâts qui n’ont pas été vus par notre équipe d’enquêteurs ont été reportés dans la presse. La localisation est donc ici basée sur des photos, une erreur est donc possible. De même, quelques dommages isolés ont été constatés plus au nord, près de la Leeuwerstraat et de la Kamerijckstraat , sans pouvoir directement les relier au tourbillon. Il s’agit de branches brisées et d’une serre très légèrement abimée, suite probablement à de fortes rafales convectives.
Branches de saule brisées près de la Leeuwerstraat à Gingelom.
Conclusions sur la tornade
Les dégâts observés sur la toiture d’une habitation de la Landenstraat nous permettent de classer ce cas au niveau F1 sur l’échelle de Fujita et T3 sur l’échelle de Torro.
La tornade aurait parcouru environs 500 mètres mais n’aurait eu véritablement de contact avec le sol que sur quelques dizaines de mètres au maximum. Cependant, des incertitudes demeurent car, avant la Landenstraat, s’étend une grande plaine agricole, tout comme c’est également le cas après le village de Gingelom. On reporte également que les pompiers ont reçu une dizaine d’appels de personnes leur signalant qu’ils avaient vu la tornade.
Il se pourrait donc que le tourbillon ait eu un contact avec le sol autre part, rallongeant de fait son parcours. Dans ce cas, elle montrerait un déplacement de type sauteur qui est d’ailleurs assez souvent observé en Belgique. En outre, avec son parcours étonnamment court, on peut donc se poser la question que si elle n’avait pas touché d’habitation, elle n’aurait plus que probablement jamais été répertoriée. Si d’autres cas comme celui-ci interviennent régulièrement, le nombre de tornades recensées pourrait être largement sous estimé, mais tout cela n’est que suppositions.