Le début du mois de septembre 1902 est caractérisé par un flux d’air maritime très doux en Belgique. Il est commandé par une dépression se déplaçant de l’Atlantique, les 1 et 2 septembre, à l’Écosse, le 3 septembre, puis vers le nord de la Mer du Nord, le 4 septembre. Pendant tout ce temps, les pressions restent élevées sur l’est de l’Europe.
En ce mardi 2 septembre 1902, la température monte jusqu’à près de 23°C tandis que, sur l’ouest du pays, une violente tornade ravage le village de Kortemark en soirée, situé à quelques 25 kilomètres de la mer, en province de Flandre Occidentale. On y déplore de nombreux blessés dont plusieurs graves.
Il est intéressant d’analyser de plus près cette journée du 2 septembre 1902. Les cartes de réanalyse se basent sur les cartes de l’époque et n’identifient que ce courant général de sud-sud-ouest à l’origine du temps doux et quelque peu humide sur nos régions (alors qu’il fait plus chaud et plus ensoleillé sur l’Allemagne avec souvent 25°C à 28°C). Un regard sur les données de vent de Vlissingen aux Pays-Bas fait cependant apparaître une curiosité : le vent en fin d’après-midi y tourne vers l’est-sud-est. Ce phénomène n’apparaît pas à Maastricht mais bien à Londres, où le vent tourne au sud-est, et au nord des Pays-Bas, à Den Helder, où le vent s’oriente même carrément à l’est.
Carte de réanalyse illustrant les géopotentiels et les pressions au sol du 2 septembre 1902. Source : Meteociel
Ceci fait penser à une dépression de petite taille, non détectée par les services météorologiques de l’époque, qui serait remontée depuis le sud-ouest et qui aurait principalement intéressé l’ouest de notre pays. Une autre curiosité est la bouffée d’air chaud qui envahit le pays en soirée et la nuit, avec des minima qui, souvent, ne descendent pas en dessous de 18-19°C, ce qui est beaucoup pour l’époque en septembre.
Si les gros contrastes thermiques semblent absents (l’air doux, poussé par les vents d’est à sud-est, s’étant propagé jusqu’en Angleterre), les cisaillements de vent (tant en direction qu’en vitesse) sont importants. Au niveau de la direction, les cisaillements sont de type « tournants », donc favorables à la formation de supercellules. Au niveau de la vitesse, la rapidité de déplacement de la trombe (voir plus bas) indique une forte dynamique en altitude avec des vents forts.
Malheureusement, les sondages atmosphériques n’étant encore qu’à leurs balbutiements à l’époque, nous n’avons pas d’informations plus précises.
En tout cas, la tornade a parcouru environ 10 kilomètres mais des dégâts sont encore signalés près de Bruges. Cependant, comme aucun dommage n’est mentionné entre-temps, nous ne pouvons pas confirmer s’il s’agit de l’œuvre de la même tornade ou d’un nouveau tourbillon ayant sévit après la dissipation du premier. Dans le cas contraire, la tornade a même pu parcourir 25 kilomètres environ.
L’intensité du tourbillon aurait atteint le stade F3, voire F4 selon les descriptions des dommages.
Voici quelques extraits de journaux de M. Albert Lancaster :
« Des personnes qui ont observé le phénomène disent qu’elles ont remarqué un nuage ayant la forme suivante : deux cônes superposés par le sommet, l’une des bases rasant le sol ; du cône inférieur, les objets enlevés passaient dans le cône supérieur animé d’un mouvement tourbillonnaire. La trombe a traversé la commune de Kortemark avec une vitesse d’environ 90 km/h.
C’est vers 5 ¾ heures de l’après-midi (19h45 de nos jours) que cette trombe, accompagnée de roulements formidables du tonnerre et des lueurs sinistres des éclairs, prit naissance, entre les villages de Zarren et Handzaeme (situés entre les villes de Torhout et de Diksmuide). Se dirigeant vers l’ENE, elle atteignit bientôt la commune de Kortemark, qu’elle traversa sous forme de tourbillon dévastateur, balayant tout sur son passage jusqu’aux confins de l’agglomération, démolissant plusieurs bâtiments, brisant net, déracinant ou tordant des arbres énormes et semant la terreur dans la région.
L’aspect du village, après le passage de la tourmente, était vraiment lamentable : la route de Kortemark était littéralement obstruée d’arbres, de débris de toits et de récoltes. Des rangées entières d’arbres furent balayées comme de vulgaires jeux de cartes ; des bestiaux gisaisent sur le flanc, après avoir été enlevés et projetés par la bourrasque à plusieurs mètres de distance ; des blessés étaient atteints par les débris dont la trombe semblait se servir en guise de projectiles. Plusieurs de ces blessés, parmi lesquels beaucoup de femme et d’enfants, ont dû être admis à l’hospice. »
Probable trajectoire suivie par la tornade de Kortemark du 2 septembre 1902. Source : Google Maps
« En continuant son œuvre dévastatrice, la trombe prit la direction SO – NE, à peu près, et passa par Torhout, puis dans les environs de Bruges, entre Varssenaere et Sint-Andries. Là aussi des récoltes furent endommagées et quelques arbres tordus ou déracinés, mais la violence de l’ouragan y était insignifiante en comparaison de celle qu’il avait déployée dans la région torhoutoise. À Torhout même, le parc de l’institut Sint-Jozef eut beaucoup à souffrir. Les principaux dégâts y furent localisés dans les hameaux du Maagdeveld et du Voshoeck.
À Kortemark, la trombe culbuta deux fermes, une maison particulière, une grande grange, un cabaret et quelques échoppes. Elle brisa, arracha et endommagea fortement plus de 500 arbres et blessa plusieurs personnes.
Dans la section Vulderskoek, une dizaine de maisons ont eu leurs toits enlevés, deux maisons ont été complètement détruites, et une cinquantaine d’arbres entourant la belle ferme Van de Capelle ont eu leur couronne arrachée ; en outre, de nombreux arbres fruitiers ont été renversés. Enfin, un véhicule a été chassé par l’ouragan sur un parcours de 50 mètres, puis disloqué contre un tronc d’arbre.
Le pignon du cabaret In Mexiko, au Bezemhoek, a été jeté bas jusqu’aux fondements. De la ferme A. De Wulf, presque rien n’est resté debout ; la partie postérieure de la toiture a été emportée à 20 mètres de distance ; le toit de la grange, d’environ 25 mètres de longueur, a été soulevé par un effort gigantesque et déplacé d’environ 1 mètre. Chez M. Simpels, un peuplier est tombé sur l’étable ; les bêtes ont brisé leurs attaches et ont pris la fuite dans toutes les directions. Trois mille gerbes de froment ont été dispersées et emportées, quelques-unes jusqu’à Torhout. Un bœuf a été tué dans son étable. À la ferme de Madame Mandere, une centaine de peuplier ont été brisés ou renversés. »