Le mercredi 23 août 1865, une forte dégradation orageuse touche le nord de la France et la Belgique. Cet événement se produit au cours d’une période estivale plutôt fraîche avec des températures ne dépassant guère les 20°C depuis plus d’une semaine.
Ainsi, entre 12h00 et 14h00, quatre tornades sont observées en France, dont deux F2 et une F3.
En Belgique, entre 15h00 et 16h30, pas moins de cinq tornades sont signalées, dont deux F3 et une F3-F4. Il s’agit de l’un des plus importants épisode tornadique que notre pays ait connu.
En province de Namur, les dégâts sont très importants dans le périmètre de Jannée, d’Haversin et de Sinsin. Dans cette dernière localité, une tornade provoque des dommages : « À une demi lieue du village, un amas de vapeurs venait de l’Ouest et se dirigeait vers l’Est. Les nuages environnants semblaient venir se fondre dans un énorme cône de plus de trente mètres de diamètre. Il s’avançait avec une rapidité effrayante, animé d’un mouvement giratoire très remarquable et d’une violence incroyable. Il parcourait une zone de deux cents mètres de largeur environ. La trombe lançait la foudre et était accompagnée d’une pluie torrentielle. Soixante-deux peupliers très gros ont été cassés net à deux ou trois mètres de hauteur ; le craquement a duré à peine deux secondes. Les bois de Jannée et d’Haversin ont été également dévastés. » Source: La Météorologie- Volume 15 à 16 année 1867.
À Eneille (province de Luxembourg), une autre tornade se forme et frappe des peupliers d’un mètre et demi de tour. Ils sont brisés net et les cimes projetées à de grandes distances. M. Victor Hugo, de passage en Belgique, témoigne. En voici un extrait :
« Une rencontre terrible avec des débris d’une trombe, passée une heure avant nous, se fit sur la grand-route entre Barvaux et Remouchamps. Toits emportés, arbres innombrables cassés et broyés, un christ jeté bas. »
A Theux, en province de Liège, une autre tornade sévit également, en causant d’importants dommages. Cependant, deux autres tourbillons frappent la Flandre, à Wemmel et surtout à Weerde où des maisons en briques sont totalement soufflées. Outre ces neufs cas de tornade, une autre touche encore Londres, la capitale anglaise, le lendemain (24 août).
Tornade sévissant dans la région de Theux, en province de Liège, vu depuis Franchimont le 23 août 1865.
Crédit illustration : Frédéric Godefroid©Belgorage.
Comme déjà évoqué ci-dessus, ces intempéries ne surviennent aucunement dans une période de chaleur estivale. Le climat est bien belge, pourrait-on dire, frais et humide, tantôt perturbé, tantôt instable. Du 20 au 22 août, c’est plutôt la tendance instable qui prime, avec quelques belles éclaircies certes, mais aussi pas mal de nuages convectifs donnant quelques averses, parfois accompagnés d’orages, le tout sous un bon petit vent de sud-ouest toujours aussi frais et humide. Le 22 août au soir, par contre, c’est le temps perturbé qui nous revient.
Pour le 23 août 1865, nous disposons d’une description assez précise du temps pour Bruxelles où, selon les termes de l’époque, nous avons :
Matin : éclaircies, stratus et gouttes de pluie.
Matinée : couvert, stratus, un peu de pluie vers 9h30 et après.
Après-midi : couvert, stratus, averses intermittentes depuis midi ; après 15h00, roulements de tonnerre ; de 15h30 à 17h00, orage avec averses et vent.
Soir : cumulus rapides ; le ciel s’est découvert à 18h00.
Considération générale du jour : pluvieux ; orage et averses l’après-midi ; assez beau le soir.
Texte extrait des Annales de l’Observatoire Royal de Bruxelles, année 1865.
Quelques remarques s’imposent. Les nuages décrits à l’époque le sont d’après l’ancienne nomenclature de Howard, ne comportant que 7 types de nuages. Ainsi, le terme « stratus » est utilisé non seulement pour le stratus, mais aussi pour l’altostratus opacus et tout autre nuage à base grise et uniforme. Le terme « cumulo-cirro-stratus », ancêtre du cumulonimbus, n’est utilisé que si la structure est bien visible. Sinon, le cumulonimbus passe souvent sous la dénomination « stratus », « cumulo-stratus » ou « nimbus » en fonction de ce qui est visible en dessous.
Pour ce qui concerne les heures, il faut se rappeler qu’en 1865, elles ne sont pas encore unifiées à l’échelle d’un pays et que chaque ville a sa propre heure, avec un midi qui est généralement très proche du midi solaire moyen. Pour Bruxelles, l’heure correspond, à 18 minutes près, à l’heure GMT actuelle. Si l’orage s’était produit de nos jours, il n’aurait pas sévi entre 15h30 et 17h00, mais entre 17h12 et 18h42 en heure d’été.
À l’aune des connaissances actuelles portant sur des situations orageuses similaires, nous pouvons raisonnablement décrire la météo de Bruxelles comme suit : quelques éclaircies le matin, puis le ciel se couvre rapidement d’altostratus avec quelques faibles précipitations. L’après-midi, des pluies irrégulières tombent d’une masse grise composée d’altostratus, de stratocumulus et de fractus, dans laquelle s’enclavent des cumulonimbus. Ces derniers se développent davantage par la suite, le tonnerre se met à gronder et, une demi-heure après, des orages violents, avec rafales et fortes pluies s’abattent sur la région. À l’arrière, de nombreux cumulus fractus « courent » encore dans le ciel.
La température atteint péniblement 20°C en début d’après-midi, puis sous les pluies, elle redescend à 18-19°C et, sous les averses orageuses, à 16-17°C.
Nous n’avons aucune masse d’air chaud dans les environs, qui frôlerait la Belgique par le sud : des données suisses nous permettent d’affirmer qu’une grande partie de l’Europe est baignée dans de l’air maritime frais, qui n’est arrêté que par le massif des Alpes (temps plus chaud du côté de Lugano, au sud des Alpes).
Le comportement du vent, par contre, est intéressant en Belgique : dans la lignée des jours précédents, il continue d’abord à souffler de sud-ouest mais, de 12h00 à 16h00, il s’oriente temporairement au sud-sud-est. Au niveau des vents d’altitude, « selon la direction des nuages » comme on les observait en 1865, on n’enregistre pas ce changement de direction : les vents restent orientés au sud-ouest, sauf après le front froid en soirée, où ils s’orientent à l’ouest-sud-ouest à tous les niveaux. À ce moment-là, ces vents se renforcent tant en surface (mesures instrumentales) qu’au niveau des couches immédiatement supérieures (« cumulus rapides »).
Une forte tendance des vents à souffler de l’est sur les Îles Britanniques laisse soupçonner la présence d’une dépression de petite taille (méso-dépression) descendant assez bas en latitude pour la saison (50°) pour se diriger droit vers la Belgique.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle du 14 août 1999, où un important épisode tornadique (dont une forte tornade à Tournai) s’est produit par temps couvert, frais et pluvieux, mais avec temporairement et localement d’importants cisaillements directionnels du vent en raison de la présence d’une méso-dépression. Malheureusement pour 1865, nous ne pourrons pas pousser plus en avant cette étude en raison de l’absence d’informations sur la dynamique à plus haute altitude (l’aérologie n’étant pas encore inventée à cette époque).
Mais cet épisode tornadique, immortalisé par le grand Victor Hugo, en gardera ce côté particulier. Un dossier contenant davantage d’informations a été réalisé et est disponible via le lien suivant : Tornado outbreak du 23 et 24 août 1865.