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12/03/1876 – Violente tempête

    « Il faut remonter loin dans le temps pour retrouver une tempête telle que nous l’avons connue dimanche dernier. Cette tempête a duré des heures et a laissé derrière elle une multitude de malheurs : tuiles et cheminées arrachées, arbres et poteaux télégraphiques renversés, vitres brisées par milliers et, ici et là, même de petites maisons effondrées. »

    Journal hebdomadaire « De Werkman », édition du 17 mars 1876.

    « De mémoire d’homme, nous n’avons jamais vu une tempête aussi forte et aussi longue que celle du dimanche 12 de ce mois, qui a soufflé sur tout le pays. De 4 heures de l’après-midi à 9 heures du soir environ, un vent de tempête a soufflé avec tant de force et tant de bruit qu’on a cru que tout l’enfer s’était déchaîné sur nous. Il n’existe presque aucune ville, aucun village, aucun hameau qui n’ait subi de dommages aux habitations, aux jardins, aux bois, etc. à cause de ce vent épouvantable.

    « Partout nous étions sous une pluie de tuiles, de schiste, de pierres et d’autres choses. Ici, un toit s’envolait dans les airs, là un conduit de cheminée ou une gouttière de plomb était arrachée et retombait au loin. Mais le pire, c’était des maisons qui s’effondraient de temps à autre, avec des victimes à déplorer.

    « Le long des chaussées, des champs, des bois, les arbres étaient arrachés et réduits en pièces, et le long des voies ferrées, des centaines de poteaux télégraphiques étaient renversés. »

    Journal hebdomadaire « De Denderbode », édition du 19 mars 1876.

    (Les deux extraits ont été traduits du flamand par les soins de Belgorage.)

    Ernest Quételet, le fils d’Adolphe Quételet, écrit ceci : «A Somerghem, un moulin à vent a été renversé; une grange, ainsi que les murailles de 3 à 4 maisons se sont effondrées

    «A Anvers, un observateur déclare : De mémoire d’homme, l’Escaut n’a jamais été aussi furieux que ce jour-là. Sur bien des bâtiments, on était obligé de faire vapeur et de se maintenir au milieu de la rade. Cinq bâtiments ont coulés.
    Le même observateur indique que sur la route de Turnhout c’est comme si la dévastation était due au passage d’une ou plusieurs trombes.»

    «Cette tempête est la plus violente que l’on ait observée à Bruxelles ; la colonne barométrique est descendue une fois aussi bas depuis l’origine de l’Observatoire, mais jamais le vent n’a acquis une telle violence : la pression exercée sur la plaque de l’anémomètre a atteint, vers 5 heures, la force énorme de 13kg, 4, ce qui équivaut à 144 kilogrammes de force par mètre carré : on conçoit qu’avec de tels coups de vent des arbres, des murs aient été abattus. […]»

    « Les traces laissées sur la feuille du jour par le crayon de l’intensité du vent sont très curieuses à étudier ; les forts coups de vent sont séparés par des intervalles de calme relatif d’une dizaine de minutes environ, puis un choc d’une violence extrême se montre à nouveau. […]

    « À Ostende, la tempête a éclaté vers 12h30, et elle a augmenté de violence jusqu’à 15h30, moment du premier maximum de force. À 16h30, instant du minimum barométrique, l’intensité du courant a diminué de deux-tiers. Vers 17h00, le vent a pris la direction de l’ouest-nord-ouest, et puis, à 17h30, celle du nord-ouest ; alors la fureur de la tourmente s’est renouvelée et le second maximum a eu lieu. »

    Nous savons encore que le vent, avant le front, soufflait d’ouest à sud-ouest et après, de nord-ouest, et qu’à partir de 20h00, le vent est à peu près calmé partout. Le plus fort coup de vent de Bruxelles, vers 17h00, provenait du sud-ouest. En outre, cette tempête a été accompagnée de très peu de précipitations. « La quantité d’eau recueillie pendant la tempête a été insignifiante », écrivait Ernest Quételet.

    Les données chiffrées nous apprennent aussi que la température maximale a été de 12°C à Bruxelles. À Maastricht, nous avons également 12°C à 14 heures (mais seulement 6°C à 19 heures). Les pressions sont particulièrement basses avec :

    963,3 hPa à Londres à 12h30
    968,1 hPa à Lille à 16h20
    963,5 hPa à Ostende à 16h30
    962,8 hPa à Anvers à 17h00
    966,8 hPa à Bruxelles à 17h15
    966,7 hPa à Krefeld à 18h00
    964,5 hPa à Hambourg à 22h00

    À noter que ces heures sont exprimées en heure de l’époque. Pour Bruxelles, il faut rajouter 42 minutes pour obtenir l’heure telle que définie actuellement.

    Aucun orage n’a été observé dans le cadre de la tempête, mais bien la veille où « des roulements de tonnerre et de la forte grêle » ont été signalés en milieu d’après-midi. Cependant, les dégâts apparaissent tellement importants en certains endroits, qu’il n’est pas exclu que des phénomènes orageux se soient produits lors de cette tempête, avec peut-être l’une ou l’autre tornade.

    Albert Lancaster décrit l’événement comme étant « une violente tempête de triste mémoire, des malheurs atteignirent la Belgique entière. À Bruxelles, le vent souffla à 130 km/h. »

    La reconstitution actuelle de l’événement nous permet d’évaluer effectivement la vitesse du vent à Bruxelles à 130 km/h. Mais le pire de la tempête était manifestement plus au sud, avec des vitesses que l’on pense supérieures à 150 km/h.

    Estimation de la vitesse des vents lors de la tempête du 12 mars 1876. Source : Swiss ReEstimation de la vitesse des vents lors de la tempête du 12 mars 1876. Source : Swiss Re

    Et de là aussi nous parviennent des témoignages. Dans « Légendes et histoires du beau pays de Normandie », de Francis Yard, on trouve : « Tu sais que les vents de fin d’hiver sont terribles. Je me souviendrai toujours de l’ouragan du 12 mars 1876. Des arbres ont été déracinés ou rompus par milliers, des toitures emportées au loin ; et à Rouen même, beaucoup d’églises eurent à souffrir. »

    Dans « Contre Vents & Marées », de  Maria-Carmen Gras et Emmanuel Garnier, nous pouvons lire à propos du port du Havre : « C’était de toutes parts un bruit épouvantable. En même temps qu’on entendait le tapage infernal des cheminées renversées, des toitures qui s’effondraient, des vitres qui se brisaient et dont les débris voltigeaient sur la voie publique, les hurlements du vent et les mugissements de la mer mêlaient leur voix puissante à ce lugubre concert. »

    Pour l’Allemagne, nous disposons des observations faites à Marburg, au nord de Francfort, qui sont reprises de la « Forst- und Jagdzeitung » (Journal de la forêt et de la chasse), édition de novembre 1877.

    « L’hiver 1876 s’est caractérisé, à Marbourg, par la fonte des neiges à partir du 15 février, avec à partir de là un temps presque constamment pluvieux qui s’est poursuivi jusqu’au 12 mars. Le vent, en provenance du sud, du sud-ouest ou de l’ouest, soufflait fort la plupart du temps. Dès l’après-midi du 12, le vent se renforçait de plus en plus et atteignit la force de tempête vers 7 heures du soir, en soufflant du sud-ouest et en gardant cette direction. Le maximum de la tempête pourrait avoir été atteint entre 9 et 10 heures du soir.

    « (On pense par ailleurs que l’effondrement de la tour panoramique d’Ortenberg [près d’Offenbourg et non loin de Strasbourg], pourtant massive et haute de 60 mètres, se soit produite vers 9h30  du soir.) Plus tard, entre 11 et 12 heures du soir, le vent a perdu beaucoup de sa force, pour ne devenir plus qu’une brise légère le matin du 13 mars. »

    (Traduit de l’allemand par les soins de Belgorage.)

    Extrait du journal allemand "Forst- und Jagdzeitung" traitant sur la tempête du 12 mars 1876.Extrait du journal allemand « Forst- und Jagdzeitung » traitant sur la tempête du 12 mars 1876.

    Nous lisons aussi, dans ce journal, que le temps est resté maussade et couvert toute la journée, avec des nimbus comme nuages (plus ou moins l’équivalent des nimbostratus de nos jours).

    Pour la Wallonie, nous avons des informations plus disparates, quelques déclarations ou témoignages repris ci-dessous :

    • « Le 12 mars 1876, un ouragan ravage le plateau hesbignon et une grange est renversée, qu’il faudra reconstruire. C’est quasi la seule chose qui mérite d’être relevée au sujet de cette propriété de la Fondation qui regroupe en fait deux fermes et quelques 60 ha de terres et prairies. » (La ferme de Boing)
    • « C’est dans la décennie 1870 qu’a été construite l’école des filles. Les dépenses furent considérables. De plus, un ouragan ayant endommagé l’église le 12 mars 1876, il est fait appel au sieur Michet de Wellin qui accepte de prêter de l’argent à la commune de Lavaux, moyennant intérêt. » (Lavaux-Sainte-Anne)
    • « Le 12 mars 1876, un terrible cyclone venant du sud-ouest ravagea nos contrées. La flèche du clocher, haute de 28 mètres, se détacha et alla s’abîmer dans la cour de la sucrerie se trouvant vis-à-vis de l’église. La grange et presque tous les bâtiments de la ferme Ph. Lemaur furent entièrement démolis. La grange de M. Ed. Tremont, à Sairue, et celle des frères Lorimier, à Poningue, furent rasées au pied. Des toits de chaume entiers furent enlevés, les pannes dispersées partout le lendemain, Thulin présentait l’aspect d’une ville bombardée. C’était triste et lugubre, heureusement on n’eut à déplorer la mort d’aucun habitant. » (Thulin)

    De tous ces éléments, nous pouvons conclure qu’il s’agissait bel et bien d’un événement venteux majeur et que la tempête était essentiellement synoptique, même si quelques rafales convectives ne sont pas à exclure sur le front ou à l’arrière de celui-ci. À Bruxelles par contre, la rafale maximale s’est produite au sein du secteur chaud, bien à l’avant du front froid et qu’elle ne présentait donc aucune caractéristique convective.

    La description des dégâts fait penser à des rafales supérieures à 150 km/h même dans des régions situées en dehors de la zone marquée en rouge sur la carte de reconstitution de Swiss Re.

    Ajoutons enfin que, même si la tempête elle-même n’a pas donné beaucoup de précipitations, elle se situait dans une période particulièrement pluvieuse avec constamment des courants perturbés d’origine atlantique, provoquant une forte montée des eaux dans les rivières et fleuves belges et des inondations massives en France et en Allemagne.

    Dans le département de la Marne, en France, la combinaison de la tempête avec les inondations a donné ceci :

    « Sur la vaste plaine inondée, les vagues se formaient comme sur la mer, et, poussées par le vent, venaient contre les jetées du canal. » Journal « Le Français », édition du 17 mars 1876.

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