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22-23/07/1894 – Succession d’orages violents

    Le 22 Juillet 1894, une remontée d’air chaud associée à un conflit avec l’air maritime plus frais des côtes engendre de violents orages en Belgique, mais également dans les pays limitrophes. Commençons par quelques descriptions de l’époque :

    « L’orage d’hier.

    « Les fêtes nationales ont eu, cette fois-ci, de la chance. Les illuminations de dimanche soir [22 juillet 1894] venaient de se terminer – comme se terminent les illuminations : les dernières mèches des lampions grésillaient mélancoliquement au fond de récipients multicolores, quand une formidable averse, accompagnée de coups de tonnerre épouvantables et se changeant bientôt en une véritable trombe, s’est précipitée sur Bruxelles. Elle a duré toute la nuit, et a fait une véritable hécatombe de lanternes vénitiennes, de perches, de lampions, de transparents, de drapeaux, etc.

    « L’orage n’a pas cessé de la nuit : toute la gamme des coups de tonnerre y est passée, du plus aigu au plus grave, tenant en éveil les paisibles citoyens qui auraient voulu goûter un repos bien mérité par les fatigues joyeuses de la journée. Par intervalles, des masses d’eau s’abattaient furieusement, enlevant vitres et tuiles, et la tempête semblait s’acharner sur Bruxelles. Néanmoins, les dégâts sont moins considérables qu’ils n’eussent pu l’être.

    « Vers six heures du matin, la foudre s’est abattue sur un café de la place Rogier, terrifiant, sans leur faire mal, les quelques personnes – noctambules attardés et passants matinaux – qui avaient cherché un abri sous la véranda.

    « Elle a détruit le câble électrique qui sert à l’éclairage de l’établissement.

    « Ce matin, les trams électriques (Il s’agissait en fait des tout premiers trams électriques qui avaient remplacé les trams tirés par des chevaux.) fonctionnaient comme d’ordinaire, bien qu’on eût pu croire que l’état atmosphérique dût nuire à la régularité du service.

    « L’orage s’était éloigné, faisant de grands ravages dans la banlieue. Il s’est dirigé vers Malines, où notre correspondant nous écrit qu’il a provoqué des dégâts graves :

    « En ville, aux environs de la Dyle, des pignons anciens, en bois, ont été enlevés ; plusieurs arbres des boulevards ont été déracinés comme de menus roseaux ; à la foire, une baraque a été enlevée entièrement par une rafale violente ; une partie des travaux de dérivation de la Dyle a été inondée.

    « Aux champs, les moissons gisent, lamentables. Aux environs du Sennegat, deux granges ont été incendiées par la foudre. Heureusement, le désastre n’est que matériel. »

    Photo de foudre de Ad. Deseilligny, le 22 juillet 1894 vers 21h à Enghien-les-Bains (nord de Paris), grâce à un temps d’exposition de 3 minutes Photo de foudre de Ad. Deseilligny, le 22 juillet 1894 vers 21h à Enghien-les-Bains (nord de Paris), grâce à un temps d’exposition de 3 minutes

    Voici à présent les données météorologiques disponibles :

    Le mois d’août 1894 a été légèrement plus chaud que la moyenne, pour l’époque tout au moins. En fait, le mois a été chaud au début et à la fin, alors que le milieu a été frais et perturbé sous l’égide de courants atlantiques très actifs. On notera que l’ensemble du mois a été inhabituellement orageux. L’observateur bruxellois a noté 10 jours d’orage pour sa seule station d’Uccle, pendant que celui de Gemboux en a observé même 14.

    C’est le 22 juillet, justement que l’air chaud nous revenait, très progressivement et avec peu de soleil. Il s’agissait d’une journée moite, avec des températures en journée de quelques 23 à 24°C en Basse et Moyenne Belgique, mais déjà de 27°C à l’est de la Campine.

    Bruxelles, qui avait déjà été gratifiée d’un orage la veille, réentendit gronder le tonnerre le 22 juillet à 23 heures, tonnerre qui ne cessa guère jusqu’au lendemain à 8 heures. Cinq orages successifs avaient été répertoriés, avec des maxima d’activité à 23h, 1h, 4h, 6h et, surtout, entre 6h  et 7h du matin, orage de loin le plus violent.

    Mais Bruxelles n’a pas été la seule a être touchée, loin de là. Outre les dégâts déjà évoqués à Malines, de nombreuses autres régions ont subi les ravages de cet épisode orageux. Des grêlons énormes sont tombés à Landen tandis qu’à Bruges, deux fermes ont été détruites. À Beersel, cinq grands peupliers, placés l’un à côté de l’autre, ont été touchés et en partie écorcés. Malheureusement, cet orage a aussi fait des victimes. Près de Bruges, une femme a été frappée sous un arbre et entièrement paralysée. Kampenhout déplorait même un mort.

    On rapportait aussi qu’à Bruges, l’obscurité sous l’orage était totale vers 18h15.

    Les quantités de précipitations parlent d’elles-mêmes :

    • Dixmude : 50 mm
    • Pollinkhove (10 km au sud-ouest de Dixmude) : 40 mm
    • Harchies (près de Péruwelz) : 36 mm
    • Le Coq : 32 mm
    • Houtem (au sud-ouest de Furnes) : 29 mm
    • Herbières : 28 mm
    • Uccle : 22 mm

    Trazégnies a signalé 20 mm en 20 minutes et Louvain signalait 30 mm en 1 heure. La curiosité de cet épisode : il a fait plus chaud après les orages qu’avant.

    Le 22 juillet en région Bruxelloise, on relevait 23°C, puis 27°C à 28°C les deux jours suivants.  En Campine, on passait même de 27°C le 22 à 31°C le 23 et 32°C le 24.

    À un niveau plus large, on peut parler, le 22 juillet, d’un couloir de températures intermédaires, entre 23°C et 25°C, entre Paris et Bruxelles, le siège justement de cette intense activité orageuse. À l’est, il faisait déjà bien chaud avec notamment 30°C sur l’est de la France et le sud-ouest de l’Allemagne. À l’ouest par contre, l’habituelle fraîcheur maritime était de mise avec 18°C à 19°C le long des littoraux de la Manche et de la Mer du Nord.

    Le 23 juillet, l’air chaud a largement gagné du terrain, avec 30°C sur une grande partie de l’Allemagne et de la France. La Belgique a pu bénéficier aussi de cette bouffée d’air chaud, mais restait en marge, non loin de l’air frais sur l’Angleterre et la plupart des régions côtières de la Manche et de la Mer du Nord, si bien que la tendance orageuse y a persisté.

    Vu l’époque, il n’est pas encore question de grande précision au niveau des cartes météorologiques. On peut toutefois soupçonner l’existence d’une méso-dépression remontant de France. L’observation des vents de surface, durant la soirée et la nuit du 22 au 23 juillet, abonde en ce sens : vents de nord sur une grande partie de l’Angleterre, d’est à sud-est sur l’Allemagne, la Belgique et la France, mais localement de sud-ouest sur le centre et le nord de la France.

    Au niveau de la succession des orages par des températures pas (encore) trop chaudes, cet épisode n’est pas sans rappeler celui du 22 et 23 août 2011 sur notre pays.

    Notons enfin que les heures locales de 1894, reprises dans le présent texte, correspondent aux heures GMT actuelles.