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17/06/1904 – Orages violents et forte tornade

    Le vendredi 17 juin 1904, une violente tornade frappe la Gaume, dans le sud de la Belgique.

    La situation atmosphérique est la suivante : une dépression centrée entre l’Islande et la Norvège commande de l’air maritime frais tandis qu’un anticyclone centré sur le sud de l’Allemagne détermine un flux de sud-ouest acheminant un air tropical particulièrement chaud. Les contrastes thermiques sont donc très marqués sur l’Europe, et la rencontre des deux masses d’air détermine le temps surtout sur la moitié sud de notre pays.

    Une complication provient d’une petite dépression qui se forme sur l’ouest de la France et qui se déplace vers le nord de l’Allemagne en passant près du Luxembourg et de la Gaume. À peine esquissée sur les cartes anciennes (mais évoquée dans les prévisions de l’époque), elle est mieux représentée sur les cartes de réanalyse.

    Observations météorologiques (Met Office) et géopotentiels (Wetterzentrale) du 17 juin 1904.Observations météorologiques (Met Office) et géopotentiels (Wetterzentrale) du 17 juin 1904.

    Il s’ensuit une bipartition des températures en Belgique, avec une limite d’influence de l’air chaud qui suit grosso modo la ligne Maubeuge – Charleroi – Gembloux – Saint-Trond – Maaseik. Au nord-ouest, les maxima se situent entre 20°C et 22°C (18-19°C au littoral), au sud-est, les maxima montent rapidement à 27°C voire 28°C sur les plaines et plateaux du centre-est de la Belgique, ainsi que dans les vallées ardennaises et en Gaume. Ces 28°C sont notamment enregistrés à Stavelot et à Arlon, et il n’est pas exclu qu’un petit 29°C ou 30°C puisse avoir été atteint en quelques endroits privilégiés de la Gaume.

    Il est intéressant de noter qu’un air encore plus chaud frôle notre pays par le sud, avec des températures qui dépassent les 30°C en Allemagne et sur l’est de la France (qui faisait d’ailleurs partie de l’Allemagne aussi, à l’époque).

    Chez nous, le ciel est nuageux à très nuageux (5 à 7 octas) tant dans la région fraîche que dans la région chaude. Il faut toutefois noter que l’humidité de l’air est particulièrement élevée du côté chaud, et comme ce côté chaud est (un peu) moins chaud qu’en Allemagne, cela laisse supposer l’existence d’une inversion couvercle à relativement basse altitude.

    S’ajoute à cela que les vents prennent temporairement des composantes orientales en raison du parcours de la petite dépression, avec des cisaillements directionnels probablement fort élevés par rapport au flux général de sud-ouest.

    Il n’est donc pas étonnant que le temps devienne particulièrement orageux dans toute cette région avec des températures élevées et accompagnées par des précipitations parfois fort importantes. Quelques chiffres : Stavelot : 59,5 mm ; Libramont : 41,0 mm ; Hockai : 38,3 mm ; Baraque Michel : 38,0 mm ; Arlon : 35,0 mm. À Wahlerscheidt en Allemagne, mais à quelques centaines de mètres seulement de la frontière (actuelle) belgo-allemande, les précipitations atteignent même 65,7 mm ! Outre la pluie, ces orages se présentant en plusieurs vagues sont souvent accompagnés de fortes chutes de grêles.

    Voici quelques témoignages selon les régions :

    À Donstienne, tout à fait à l’est du Hainaut, on parle de « grêlons d’une grosseur extraordinaire, mais peu abondants et tombant avec une faible vitesse, de sorte que les dégâts ont été insignifiants. On en a pesé un de 120 grammes, un autre de 107 grammes, et une dizaine d’autres pesant ensemble 650 grammes. Formes très variées : ovoïdes, hémisphériques, ou irrégulières ; beaucoup avaient un noyau irisé. »

    Un peu plus à l’est, à Dinant, les ravages étaient bien plus grands. « Vers sept heures et demie du soir (neuf heures et demie de nos jours), les grêlons sont tombés en abondance. Ils recouvraient les rues d’une couche épaisse de plusieurs centimètres ; d’aucuns avaient la forme de véritables glaçons et pesaient jusqu’à 35 grammes. Pour un pareil poids, il faut un volume supérieur à celui d’un œuf de pigeon. Aussi les vitres furent-elles brisées par milliers. Les jardins et les campagnes offrent un aspect lamentable. »

    À Florennes, des grêlons avaient même parfois la taille d’un œuf de poule.

    À Virton, « un premier orage a commencé à 14h00 (16h00 de nos jours). Le tonnerre était très fort. Les éclairs se multiplièrent vers 16h40 (18h40). Il y eut de la pluie dans l’après-midi et des averses à 17h00 (19h00). Les éclairs ont été continuels à partir de 20h30 (22h30) jusqu’au matin. […] Des grêlons considérables ont brisé bon nombre de vitres au collège Saint-Joseph et ont occasionné aux arbres fruitiers des blessures larges parfois de plus de 5 millimètres et longues de 5 à 10 centimètres. »

    Et comme si ce n’était pas assez, une tornade de forte intensité, provenant sans doute de la France, a fait d’énormes dégâts entre Virton-Saint-Mard et Virton. D’après les témoins, elle est passée à 22h30 (00h30) et a parcouru 14 à 15 kilomètres en quelques minutes seulement. Son intensité, ayant atteint le niveau F3 a pu même localement être supérieure et se porter jusqu’au stade F4.

    Chapelle de l'Institut Pierrard détruite par la tornade de Virton du 17 juin 1904. Crédit photo : M.A.LancasterChapelle de l’Institut Pierrard détruite par la tornade de Virton du 17 juin 1904. Crédit photo : M.A.Lancaster

    « Spectacle inoubliable, lamentable, raconte encore un témoin. Nous n’avons plus de jardin, plus d’arbres, plus d’ateliers, plus de chapelle. Des poutres, des ardoises, des planches, des tuiles, du zinc couvrent le sol. Nous nous apercevons d’abord qu’un tas de plusieurs mètres cube de bois de charpente est venu frapper la façade de la maison d’habitation. C’est une partie de la charpente des ateliers. Elle a été transportée à 60 mètres et à une hauteur de 8 mètres. »

    Illustration du passage de la tornade dans la région de Virton, en province de Luxembourg, le 17 juin 1904. Crédit : Frédéric GodefroidBelgorageIllustration du passage de l’orage dans la région de Virton, en province de Luxembourg, le 17 juin 1904. Crédit : Frédéric Godefroid©Belgorage

    Après le passage de cette incroyable zone orageuses, le temps devient rapidement beau, quoique frais pour la saison, et généralement sec. Le mois de juillet qui suivra sera très chaud et très ensoleillé, avec une longue période de sécheresse entre le 4 et le 23 du mois.

    Extraits des journaux de Albert Lancaster :

    « La trombe semble avoir pris naissance un peu au-delà de la frontière française, vers Aviotte et Thonne-le-long. De là, elle s’est avancée, dans une direction sensiblement O-E vers Sommethonne (premier village belge), puis vers Beauregard, hameau où elle a brisé, et renversé dans des sens différents, 37 ormes mesurant de 1m50 à 1m60 de circonférence, et arraché, en tout ou en partie, les toitures de presque toutes les maisons ; au village de Dampicourt, situé à proximité, un arbre est tombé sur une maison et l’a fendue en deux en écrasant le toit. Les arbres qui bordent la Chavrotte ont été hachés et renversés.

    Poursuivant sa marche vers l’est, le terrible météore passa entre Virton-Saint-Mard et Virton. Près du pont du chemin de fer de Bertrix à Saint-Mard, trois ou quatre arbres furent renversés, et entre la gare de Saint-Mard (dont les ateliers ont été fortement endommagés) et la Ville de Virton, 46 arbres de l’avenue Bouvier furent fracassés et un hangar démoli. »

    Bâtiment détruit par la tornade à Virton. Crédit : L. Duparque. Source : KéraunosBâtiment détruit par la tornade à Virton. Crédit : L. Duparque. Source : Le Musée Gaumais- Virton

    « Près du cimetière de Virton, on constate aussi de sérieux dégâts, aux arbres notamment, mais c’est un peu plus loin, à l’Institut Pierrard, que la trombe exerça des ravages incalculables. Nous donnons plus loin le récit d’un témoin de ces ravages. De grands dégâts, aux arbres et aux habitations, se produisent ensuite sur le territoire de la commune de Latour, dans les bois Ethe et Gomery (où des chênes énormes furent tordus), ainsi que dans ce dernier hameau et dans celui de Gévimont. Ici, les toitures de plusieurs maisons contiguës furent complètement emportées et lancées au loin. La répartition des débris sur le sol montrait bien le mouvement tourbillonnaire du vent.

    Plus à l’est encore, des arbres isolés ou en petits groupes furent aussi abattus par la trombe, mais les plus grands effets du passage de celle-ci s’étaient produits entre la ligne Dampicourt-Beauregard et celle Gomery-Gévimont.
    Le météore proprement dit a dû se dissiper à partir de cette dernière ligne, mais la violence du vent est restée très grande jusque Halanzy tout au moins, dont les usines ont été très éprouvées.

    On peut estimer à 14 ou 15 kilomètres environ la longueur de la trajectoire suivie par la trombe. Elle a effectué ce trajet en quelques minutes seulement (6 à 7 pensons-nous), car tous les observateurs indiquent 22h ½ comme l’instant de son passage.

    Tout en ayant marché de l’ouest vers l’est, le phénomène paraît avoir circulé sur une ligne légèrement courbe, la convexité étant tournée vers le sud. Peut-être la trombe s’est-elle divisée en certain point, mais on ne saurait l’affirmer. Il y a plutôt lieu de croire que son diamètre a varié suivant la disposition du terrain (ce diamètre n’a pas dépassé 50 mètres à divers endroits, mais il a atteint plusieurs centaines de mètres en d’autres), comme cela arrive assez fréquemment.

    Ce diamètre se rétrécissait là où le mouvement de l’air était gêné par quelque obstacle, et dans les vallées la trombe s’épanouissait. Là le courant aérien paraissait rectiligne, comme c’est souvent le cas pour les trombes de diamètre très développé. Dans ce cas, en outre, il doit exister des filets ou des colonnes d’air animées de vitesses plus grandes que celle de l’ensemble du tourbillon.

    Nous avons enfin fait la remarque que le météore gagnait en violence en dévalant d’un coteau et en arrivant au pied de celui-ci ; mais cette circonstance n’est peut-être qu’accidentelle.

    Les plus grands dégâts se sont produits un peu à l’ouest de Virton (à Dampicourt et à Beauregard), puis vers l’est, dans l’étroite région comprise entre le Ton et la Vire.
    Au SO de Virton, entre le château de Rouvroy et Dampicourt, le long du Ton, le vent a arraché beaucoup de peupliers de la route avec plusieurs mètres cubes de terre adhérents aux racines.

    Nous avons vu à la ferme de Banpont (commune de Latour) un gros noyer que la trombe a incliné vers l’est de 40° environ ; les racines du côté de l’ouest soulevèrent de 50 centimètres la partie de terre qui les recouvrait. »

    Le bâtiment des corps de métier de l’institut Pierrard. Crédit : L. Duparque. Source : KéraunosLe bâtiment des corps de métier de l’institut Pierrard. Crédit : L. Duparque. Source : Le Musée Gaumais- Virton

    Voici ce que décrit un témoin du désastre de l’Institut Pierrard. Le récit provient de journaux quotidiens de l’époque : «Vous me demandez mes impressions? Je vais tâcher de les exprimer, mais je pense qu’il faut avoir vu pour croire. Regardez plutôt autour de vous, et dites-vous que ces 2 500 mètres carrés de toitures et ces 2 000 mètres cubes de maçonnerie ont été démolis en moins de deux minutes.

    Je m’étais couché vers 9h30. Un gros orage grondait sur la forêt de Chiny au nord et sur les bois de France au sud. C’était un vrai scintillement perpétuel d’éclairs dans tous les sens, mais Pierrard était indemne. Petit à petit, l’orage se rapprocha pourtant. Je ne dormais pas, la chaleur était accablante. Le train de 22h23 venait de passer depuis deux minutes, fort heureusement pour les voyageurs.

    J’entends le vent qui siffle à travers ma fenêtre et ma porte d’une façon inquiétante. Je me figure aussitôt avoir laissée ouverte la fenêtre de la chambre voisine et me lève pour la fermer. Tout était en ordre et le sifflement augmentait toujours. Il y avait quinze secondes que j’avais remarqué ce bruit extraordinaire, quand devant moi toutes les vitres se cassent avec fracas. Un roulement indéfinissable et épouvantable se fait entendre. Des planches, des ardoises, de la chaux etc. pénètrent dans ma chambre par les croisées. Au-dessus de moi, en dessous de moi tout danse. Un vacarme, dont rien ne peut donner l’idée, dure pendant deux minutes, peut-être pendant une demi-minute; j’avais perdu conscience du temps. Enfin le vent tombe, je puis sortir.

    Spectacle inoubliable, lamentable! Nous n’avons plus de jardin, plus d’arbres, plus d’ateliers, plus de chapelle. Des poutres, des ardoises, des planches, des tuiles, du zinc, couvrent le sol. Nous nous apercevons d’abord qu’un tas de plusieurs mètres cubes de bois de charpente est venu frapper la façade de la maison d’habitation. C’est une partie de la charpente des ateliers. Elle a été transportée à 60 mètres et à une hauteur de 8 mètres.

    Tout à l’heure, nous retrouverons au dortoir des cheminées de forges et plus tard on découvrira dans les campagnes, à 300 mètres des ateliers, de gros madriers de sapin. Le zinc a été enlevé jusqu’à Belmont, à 2 kilomètres de Pierrard. Les ateliers sont démolis jusqu’au pied. Il n’en reste presque rien. Leur outillage si parfait est broyé sous les murs. La ferme et le magasin des ateliers ne sont pas renversés, mais des 750 mètres carrés de toitures il n’en reste pas 50.

    Illustration des dégâts de la tornade du 17 juin 1904 à Virton, près de l'église du village. Crédit : Frédéric GodefroidBelgorage.Illustration des dégâts après le passage de la tornade du 17 juin 1904 à Virton, près de l’église du village. Crédit : Frédéric Godefroid©Belgorage.

    Les grands arbres qui faisaient le charme de Pierrard, la grande allée de sapins, les arbres fruitiers sont presque tous brisés à 2 mètres du sol. Les dégâts se montent à 125 000 francs. 
    A 100 mètres plus haut et à 100 mètres plus bas que l’école, aucun désastre. L’établissement s’est trouvé exactement dans l’axe du cyclone »

    Albert Lancaster commente ce témoignage, authentifiant sa véracité :

    « Ce récit est loin d’être exagéré, car la plume est impuissante à faire saisir l’étendue et l’aspect de pareil désastre. Nous avons pu le contempler quelques jours après le 17 juin, comme nous avons pu d’ailleurs, à deux reprises, faire personnellement sur place les diverses constatations exposées ci-dessus au sujet des ravages occasionnés par la trombe.
    La toiture des ateliers de l’Institut Pierrard a été arrachée, puis soulevée par le météore ; elle est retombée ensuite sur place, en écrasant tout le bâtiment. La chapelle a été complètement démolie. 
    »