La journée du dimanche 08 juin 2014 suivant le samedi 07 juin (où deux orages supercellulaires avérés et un autre probable ont sévi sur le nord-ouest et le centre du pays), fut tout aussi intéressante. Cela dit, à la différence de la veille, les orages se sont produits en deux épisodes séparés par une grande partie de la journée. De fait, le premier s’est réalisé tôt en matinée alors que le second n’aura vu le jour qu’à la nuit tombée.
D’un point de vue atmosphérique, les centres d’action n’ont que peu bougé par rapport à la veille : le front ondulant présent depuis le 7 sur l’extrême ouest du pays est toujours stationnaire, quasi parallèle à un flux orienté grossièrement sud-ouest – nord-est. Toutefois, dans les toutes basses couches de l’atmosphère, la plupart des stations météo enregistrent un vent de nord-nord-est à nord-est, le tout dans un air assez humide. Les sondages atmosphériques montrent en effet l’existence d’une fine pellicule d’air maritime près du sol, poussée par un petit noyau anticyclonique d’origine thermique sur la Manche puis la mer du Nord (marqué par un H dans les cartes ci-dessous). Au-dessus de cet air maritime se déploie une importante couche d’air plus chaud et sec. La limite entre les deux rejoint le sol sur le sud du pays, formant un pseudofront.
Analyse de surface du 8 juin à 8h00 (source : KNMI).
Analyse de surface du 8 juin à 20h00 (source : KNMI)
C’est par ailleurs sur une petite discontinuité que prend place la première offensive matinale. Ce caractère de pseudofront s’affirmera bien davantage en journée, de telle sorte qu’on peut certifier que c’est cette limite entre la pellicule maritime au nord-ouest et l’air chaud et sec au sud-est qui sera l’acteur principal des orages de la soirée, ce pseudofront guidant les cellules à travers le Condroz. Outre les différences thermiques, ce lieu est le siège de cisaillements prononcés et de convergences favorisant la convection dans une masse déjà bien instable à la base, et ce malgré la présence d’une inversion côté « frais » du pseudofront.
Lever de soleil dans la région de Lavaux-St-Anne en province de Namur.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Ainsi, tout commença vers 07h00 du matin, avec la remontée d’un système convectif de méso-échelle depuis la France qui nous est arrivé très atténué. Celui-ci nous présenta quelques surprises avec une réactivation localisée de certains noyaux convectifs, cela se produisant notamment dans la région de Revin dans le département des Ardennes en France. Là, une cellule en phase de maturation effectua une division en deux orages intenses dont l’un d’eux constitua une probable supercellule.
Radar de précipitations vers 07h00
Source : Buienradar
Alors qu’une des deux cellules se dirigeait vers Philippeville en province de Namur, la seconde suspectée d’être une supercellule pris la route de Gedinne située dans la même province. Notre équipe de traqueurs était sur place, dans la région de Lavaux-St-Anne exactement où elle a pu constater des grondements de tonnerres continus sous ce qui se présentait comme une base élevée, soit la bordure nord du courant descendant terminé par une enclume. Malheureusement, notre équipe n’a pas pu s’en rapprocher davantage car la cellule orageuse passait exactement par une bande forestière de la région, ce qui rendait toute interception impossible.
Flanc boréal d’une probable supercellule transitant en milieu forestier
et observée depuis la région de Lavaux-St-Anne.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Radar de précipitations vers 08h15
Source : Buienradar
Plus tard, cette cellule effectua une nouvelle division dont l’une des parties rencontra celle s’étant précédemment dirigée vers Philippeville, tandis que l’autre évolua en un système plus étendu en formant un écho en arc sur la province de Liège vers 09h45.
Radar de précipitations vers 10h00
Source : Buienradar
Celui-ci remonta ensuite vers la province de Limbourg avant de gagner le sud-est des Pays-Bas et l’Allemagne un peu plus tard. Après une analyse des images radars, ainsi que du comportement de la cellule ayant évolué en écho en arc, le caractère supercellulaire de cet orage ne laisse que peu de doute. Après le passage de ce système, le soleil se mit à briller de mille feux sur bon nombre de régions, réchauffant dès lors très efficacement les basses couches de l’atmosphère.
Ciel quasiment serein en milieu instable dans la région de Rochefort. La présence d’une inversion
thermique permet au soleil de briller pour le moment.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Alors que le soleil brillait, une couche d’inversion de température s’est également mise en place à l’image de la veille, contrariant tout développement de convection profonde malgré une instabilité qui devenait significativement forte au fil des heures (2000 à 2400 J/kg de MUCAPE). D’un point de vue dynamique, on notait une atmosphère moins dynamique que le samedi 07 juin avec un jet d’altitude moins vigoureux et des forçages de basses couches plus atténués, ce qui maintenait des conditions calmes en cours d’après-midi. Cela aura donc permis à cette journée d’être placée sous le signe du soleil. Cependant, en France, des orages intenses se sont développés durant l’après-midi et la soirée, l’un d’entre eux, de nature supercellulaire, s’approchant progressivement de la province de Luxembourg.
Orage supercellulaire sévissant dans le département des Ardennes en France
et observé depuis la région de Bertrix en province de Luxembourg.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Notre équipe de traqueurs d’orages était en position dans la région de Bertrix située dans la même province pour attendre l’arrivée de la cellule en question et pouvait même déjà, aux alentours de 22h30, en entrevoir des éclairs alors que l’orage ne faisait que franchir la frontière entre le département de l’Aisne et celui des Ardennes en France, à une soixantaine de kilomètres de distance. De même, au-dessus des provinces de Luxembourg et de Namur, on pouvait noter la présence de nuages convectifs faisant céder l’inversion, ainsi, notre équipe constatait clairement que le calme n’allait franchement plus durer, les premiers éclairs commençant déjà à zébrer le ciel.
Radar de précipitations vers 22h30
Source : Buienradar
Radar de précipitations vers 23h30
Source : Buienradar
Occurrence des coups de foudre entre 22h15 et 24h15
Source : Blids
À l’arrivée de la supercellule française près de nos frontières, les conditions se dégradaient franchement avec le développement assidu de cellules orageuses dans la région de Philippeville en province de Namur, située tout juste dans la zone de précipitation septentrionale de la supercellule française. Cependant, vers 0h00 le 9, cette dernière qui devait entrer dans le pays par le sud se dissipa brutalement une fois arrivée au centre du département des Ardennes. En parallèle, à ce moment-là, les quelques orages qui s’étaient mis en place le long du Condroz, une heure et demi plus tôt, commençaient à littéralement assiéger la zone avec une activité électrique notable. De même, plus au nord-ouest, une cellule orageuse unique était en passe de franchir la frontière belge au niveau de la province de Flandre Occidentale avec à nouveau des propriétés supercellulaires.
Orage supercellulaire déclinant et entamant sa phase de dissipation sur le centre du département des Ardennes..
Cela étant visible via l’enclume qui commence à s’effilocher.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Radar de précipitations vers 00h00, le 9 juin 2014.
Source : Buienradar
Occurrence des coups de foudre entre 00h00 et 02h00.
Source : Blids
Vers 00h30, notre équipe de traqueurs s’est dirigée vers la région de Tohogne située dans l’extrême nord de la province de Luxembourg afin d’intercepter une cellule composant le système du Condroz vers 02h10.
Radar de précipitations vers 02h10
Source : Buienradar
À l’interception, notre équipe fut surprise de voir tomber des grêlons de 3 à 4 cm de diamètre, ceux-ci étant accompagnés par de nombreux éclairs surtout intranuageux et de très fortes précipitations de pluie. C’est donc dans ces circonstances que notre équipe croisa le chemin avec une supercellule avérée dans cette région.
Orage supercellulaire ayant provoqué la chute de grêlons de 3-4 cm de diamètre
dans la région de Tohogne en province de Luxembourg.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Grêlons ramassés après le passage de l’orage supercellulaire de Tohogne.
Crédit photo : Samina Verhoeven
De même, au nord du pays, l’orage ayant précédemment passé la frontière au niveau de la province de la Flandre Occidentale évolua lui aussi en supercellule avérée en provoquant d’intenses chutes de grêle dans la région de Lokeren située en province de Flandre Orientale. Vers 02h30 – 03h00 du matin, notre équipe pouvait même observer l’intense activité électrique de cet orage depuis Tohogne alors qu’il déversait son lot de grêle dans la région anversoise à ce moment-là. Cet orage a même fait parler de lui dans la presse dont en voici un article : Orages à Saint-Nicolas et Anvers. Les circonstances de sa formation restent quelque peu mystérieuse, mais on ne peut exclure à cet endroit-là l’intervention similaire d’une discontinuité dans la masse d’air, orientée grosso modo parallèlement à la côte.
Radar de précipitations vers 03h15
Source : Buienradar
Enfin, au même moment, un autre orage s’est formé dans la région de Philippeville en prenant le même chemin que ses prédécesseurs du Condroz, celui-ci constitua un nouveau probable orage supercellulaire mais sa durée de vie fut très courte. C’est ainsi que s’achève cette seconde journée exceptionnelle même si vu les heures, ceci peut déjà faire partie du 09 juin 2014 également. À ce stade de l’Outbreak, on dénombre quatre supercellules avérées et six probables supercellules (trois autres cellules ayant été repérées par la suite au radar), ce qui est rare en si peu de temps dans nos contrées. Bien entendu, la journée du lundi 09 juin 2014 n’aura certainement pas été moins intéressante que du contraire !
Pour terminer l’article, voici deux liens dirigeant vers une partie des réalisations écrites et audiovisuelles de la presse : Nouvelle nuit agitée dans le ciel belge, Les orages ont frappé cette nuit.
Un dossier a également été réalisé par notre collectif. Nous vous invitons à le consulter via le lien suivant : Supercell Outbreak des 7, 8 et 9 juin 2014.