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14-15-16/07/2021 – Inondations historiques

    Les mercredi 14 et jeudi 15 juillet 2021, la Belgique est confrontée à l’un des pires épisodes pluvieux de son Histoire. De fait, pendant plus de 48 heures, la pluie tombe de manière ininterrompue sur une moitié est du pays, causant d’impressionnantes inondations et malheureusement d’immenses dégâts matériels et humains. En effet, le bilan est dramatique puisque l’on dénombre 41 victimes et une disparition, sans compter les centaines de blessés. Quant au bilan matériel, il est énorme avec des milliers de bâtiments touchés, 50.000 véhicules détruits et des dommages estimés à près de trois milliards d’euros.

    Comme d’habitude, une catastrophe est souvent causée par une série d’événements qui s’associent malencontreusement. Dans cet article, nous n’abordons que l’aspect météorologique et pas celui de la gestion de l’urbanisme, des cours d’eau et des barrages.

    Ainsi, le 14 juillet, une goutte froide présente sur la France se déplace vers le nord-est de l’Italie, puis vers l’Allemagne le lendemain. Elle pilote un flux d’air extrêmement humide qui pivote sur l’Allemagne et arrive depuis le nord-est sur nos régions en s’enroulant autour d’une dépression de surface presque stationnaire placée sur l’ouest de l’Allemagne. Cet air moite se recharge au-dessus de la mer du Nord et d’une mer Baltique qui atteint des records de chaleur. Dès lors, les valeurs du contenu en eau précipitable sont incroyablement élevées, dignes des régions tropicales.

    Flux à 700 hPa et anomalie du contenu en eau précipitable. On remarque la bande extrêmement humide qui déferle vers l'est de la Belgique depuis la Baltique. Source : AliciaMBentley.comFlux à 700 hPa et anomalie du contenu en eau précipitable. On remarque la bande extrêmement humide
    qui déferle vers l’est de la Belgique depuis la Baltique. Source : AliciaMBentley.com

    À une échelle plus globale, nous avons une zone anticyclonique sur l’Atlantique et une autre entre la Scandinavie et l’Ukraine avec, au milieu, une situation dépressionnaire allant de la Suède à l’Italie. Dans ce contexte, nous faisons face à une situation de blocage, avec cette dépression coincée entre les anticyclones, soutenue en altitude par la goutte froide. Une occlusion, associée à la dépression, ondule alors sur l’est de la Belgique.

    Analyse de surface du 14 juillet 2021 à 2h00. Source : KNMIAnalyse de surface du 14 juillet 2021 à 2h00. Source : KNMI

    La combinaison entre cette humidité en basses couches et l’air froid en haute troposphère engendre aussi une instabilité modérée, autorisant des développements convectifs. De plus, notre pays est situé sous une divergence d’altitude, ce qui favorise encore les ascendances. En outre, des axes de convergences peu mobiles complètent ce cocktail « explosif », qui autorise la survenue d’un important épisode pluvieux.

    Déjà plusieurs jours avant, les modèles météorologiques anticipèrent le potentiel très pluvieux de cet épisode, avec des cotes pluviométriques envisagées à plus de 200 voire 250 mm sur 48h pour certains d’entre eux. Dans de telles conditions, le risque d’avoir des inondations exceptionnelles est important, d’autant plus que les semaines précédentes ont été très humides. Ainsi, le 11 juillet, il est encore tombé 20 à 30 mm de pluie sur certaines régions, saturant complètement les sols en eau et provoquant déjà des crues sur de petits cours d’eau, notamment à Beauvechain, Walhain, Chastre (province du Brabant Wallon) et Chaudfontaine (province de Liège) où un torrent emporte plusieurs véhicules.

    Au niveau du déroulement de l’épisode, la zone de pluie du front occlus touche d’abord la Gaume la nuit du 13 au 14 juillet. Elle s’active ensuite pour englober l’est du pays avec un déplacement très lent.  Les précipitations s’organisent le long d’une ligne ou de plusieurs axes de convergences, avec des flux parallèles à la perturbation, ce qui amène le front à devenir stationnaire sur les mêmes régions qui voient défiler la perturbation dans le sens de la longueur durant de longues heures à cause de la situation de blocage. De plus, des cumulonimbus se développent au sein de la zone pluvieuse, augmentant par moment l’intensité des précipitations. Heureusement, aucun orage ne parvient véritablement à se former, sans quoi les précipitations auraient encore été bien plus intenses.

    Ainsi, le temps reste couvert pendant trois jours consécutifs sur le centre et l’est de la Belgique, avec des nimbostratus pluvieux dans lesquels se dissimulent les cumulonimbus enclavés. Le plafond nuageux est très bas et les fractus s’accrochent souvent au sol. À l’inverse, sur l’ouest et plus particulièrement le littoral, le temps est ensoleillé. Quant aux températures, elles atteignent de 15 à 18°C en Ardenne et même de 19 à 21°C en plaine, ce qui est encore assez doux pour ce type de temps. Et c’est là qu’intervient le facteur du réchauffement climatique.

    En effet, il y a un siècle, avec la même situation, nous aurions probablement eu 2 à 3°C de moins. Un air plus chaud pouvant contenir davantage de vapeur d’eau, cela représente 14 à 21% d’humidité en moins dans l’atmosphère, et des cumuls de précipitations par conséquent moins élevés. De même, la température de la mer Baltique aurait été bien moins élevée, amoindrissant la température, l’humidité et par principe, l’instabilité. Dans la même réflexion, avec 1 ou 2°C supplémentaires dans notre futur, la même situation pourrait voir le développement d’orages au sein de la zone de pluie, qui outre la teneur plus élevée en humidité de l’atmosphère réchauffée, apporteraient des intensités pluviométriques plus intenses. Bien entendu, il ne s’agit que d’hypothèses.

    On peut également se poser la question de la situation synoptique en elle même. Effectivement, le réchauffement climatique tend à rendre les blocages plus réguliers, à cause du réchauffement de l’arctique qui engendre des ondulations plus importantes du courant jet. Dans le futur, il se peut que ce genre de situations soient rencontrées bien plus souvent que par le passé. En outre, les canicules de ces derniers étés résultent du même contexte de blocages par exemple. Cependant, le réchauffement climatique a beau être un facteur aggravant, il n’est pas l’unique cause de la catastrophe.

    Pour en revenir au déroulement, le 14 juillet, la perturbation touche l’est de la Belgique et dans une moindre mesure le centre. Sur l’Ardenne et plus particulièrement les Hautes Fagnes, le flux de nord à nord-est vient buter contre le relief, ce qui ajoute encore des ascendances supplémentaires et augmentent les quantités de précipitations qui tombent sur ces régions. Très rapidement, des inondations sont constatées par ruissellement et par la crue des petits cours d’eau sur les têtes des bassins versants. Dès l’après midi, les crues se propagent en aval vers des rivières plus importantes et l’intensité de ces crues se révèlent exceptionnelles en province de Liège sur la Hoëgne, la Waai et la Vesdre notamment. L’eau monte sans arrêt et des villes comme Spa (sur la Waai), Theux (sur la Hoëgne) et Verviers (sur la Vesdre) se retrouvent inondées. Les dégâts sont importants, avec des voitures emportées, des centaines de maisons touchées et la plupart des voiries coupées. Des centaines de camps scouts doivent aussi également être évacués en urgence. Mais, ce n’est malheureusement qu’un commencement.

     Crue de la Hoëgne à Theux, en province de Liège, le 15 juillet 2021.
    Crue de la Vesdre à Nessonvaux, en province de Liège, le 15 juillet 2021.Crue de la Vesdre à Nessonvaux, en province de Liège, le 15 juillet 2021.

    La pluie modérée à forte qui ne cesse de tomber finit par s’étendre aussi sur le centre du pays durant la nuit du 14 et 15 juillet, avant de se retirer à nouveau vers l’est durant la journée. Dans cette dernière partie du pays, aucune accalmie n’est observée. Les crues se propagent sur les cours d’eau principaux où l’eau atteint des hauteurs inégalées localement. La situation est critique sur le bassin de la Vesdre. À Verviers, Theux, Pépinster, Vaux-sous-Chèvremont, Trooz par exemple, l’eau atteint le premier étage des maisons, voire même davantage. Ainsi, la Vesdre monte de 8 mètres au dessus de son niveau habituel ! Notamment à Pepinster, qui se trouve à la confluence entre le Hoëgne et la Vesdre. Malheureusement, les dégâts sont considérables, les services de communication et de distribution sont gravement perturbés, la région se retrouvant coupée du reste du pays. Les ponts, les voitures, les routes, les voies ferrées, tout ou en partie est emporté par le courant destructeur, à tel point que plusieurs dizaines de maisons sont détruites. Le bilan humain est dramatique également, avec une centaine de personnes portées disparues. De même, des centaines d’animaux sont emportés par les eaux. Les services de secours sont complètement dépassés par l’ampleur de la catastrophe, et l’armée est dès lors obligée d’intervenir.

    Les services de secours sont débordés, comme à Pépinster à cause de la crue de la Vesdre,.Les services de secours sont débordés, comme à Pépinster à cause de la crue de la Vesdre.
    L'eau dépasse le premier étage à Pépinster, en province de Liège, le 14 juillet 2021. Crédit photo : G. Verbrugghe. Source : RTBFL’eau dépasse le premier étage à Pépinster, en province de Liège, le 14 juillet 2021. Crédit photo : G. Verbrugghe. Source : RTBF

    Ailleurs, tous les cours d’eau d’une moitié est de la Belgique entrent en crue, parfois à des niveaux exceptionnels. La liste est indénombrable, mais l’Ourthe, l’Amblève et la Lesse causent les plus gros dégâts, notamment à Durbuy, Rochefort, Barvaux, Hotton, Esneux, Aywaille, Remouchamps, ect. Les dommages sont aussi considérables, avec des routes, des véhicules et parfois des maisons emportées. De nombreuses localités se retrouvent sans électricité également et malheureusement, de nombreuses victimes et disparus sont à déplorer.

    Crue de l'Ourthe à Durbuy, en province de Luxembourg, le 15 juillet 2021.Crue de l’Ourthe à Durbuy, en province de Luxembourg, le 15 juillet 2021.
    Crue de la Lhomme à Rochefort, en province de Namur, le 15 juillet 2021. Crédit photo : D.R. Source : DHCrue de la Lhomme à Rochefort, en province de Namur, le 15 juillet 2021. Crédit photo : D.R. Source : DH

    Dans le centre, l’est du Hainaut et l’ouest de la province de Namur sont aussi concernés par les crues, notamment dans les régions de Couvin, Philippeville et Charleroi. En province du Brabant Wallon, à Court-Saint-Etienne, Ottignies et Wavre, la Dyle connait un niveau d’eau jamais atteint, avec une hauteur de 3,75 m et un débit de 50 m³/s (pour une normale de 1,5 m³). La crue est essentiellement due au niveau exceptionnel atteint par un affluent, l’Orne, qui cause d’énormes dégâts à Mont-Saint-Guibert et Court-Saint-Etienne. Les conséquences sont importantes, ces cours d’eau inondant de très nombreuses rues et habitations. En outre, à Wavre, deux personnes sont sauvées in-extrémis de la noyade par les services de secours, et quelques blessés sont à déplorer.

    À Jodoigne, la Grande Gette passe au-dessus des digues de protection et inonde une partie de la ville ainsi que le zoning industriel. Grez-Doiceau est également très impacté par la crue du Train, affluents de la Dyle. La Nethen connait aussi des débordements très importants à Beauvechain et au village qui porte le nom de la rivière. Ce dernier est même évacué par l’armée. En réalité, tous les cours d’eau de la province sont en alerte de crue ! En outre, de fortes rafales convectives provoquent isolément la chute d’arbres, notamment dans la région de Jodoigne où des coupures de courant sont observées.

    En province de Namur, du côté d’Eghezée, la Mehaigne connait aussi une crue très importante qui se propage vers l’aval. Plus au sud, la crue du Samson engendre de gros dégâts dans plusieurs villages.

    Sauvetages en cours à Wavre, le 16 juillet 2021.Sauvetages en cours à Wavre, en province du Brabant Wallon, le 16 juillet 2021.
    On retrouve près d'1,8 m d'eau dans certaines rues de Wavre, le 16 juillet 2021.On retrouve près d’1,6 m d’eau dans certaines rues de Wavre, le 16 juillet 2021.
    Le centre-ville de Wavre (province du Brabant Wallon) inondé le 16 juillet 2021.Le centre-ville de Wavre (province du Brabant Wallon) inondé le 16 juillet 2021.

    Le 16 juillet, la pluie cesse enfin. Les inondations continuent toutefois à progresser en certains endroits, surtout sur la Mehaigne qui touche fortement la région d’Andenne, ainsi que la Dyle et la Gette qui débordent en province du Brabant Flamand, notamment à Louvain. Pour essayer de protéger certaines localités, des digues sont même délibérément éventrées pour inonder les étendues agricoles. À Wavre, la ville est encore sous 1,5 m d’eau, sans électricité, et l’armée est appelée vu l’ampleur de l’inondation. Partout, les secours sont débordés et l’aide internationale arrive alors en renfort, notamment des centaines de pompiers français, autrichiens et italiens. De nombreuses personnes, retranchées aux étages ou sur le toit de leurs habitations, attendent parfois des dizaines d’heures pour être secourues, notamment par hélicoptère.

    En outre, le pic de crue atteint également la Ville de Liège. Tilff, Angleur (sur l’Ourthe) et Chênée (sur la Vesdre) et sont particulièrement touchés, surtout que ces deux dernières localités se trouvent à la confluence entre les cours d’eau. Ainsi, les mêmes scènes de désolations sont observées, avec des centaines d’habitations submergées. On signalera aussi que l’autoroute E25 est complètement inondée dans la région et que les tunnels sont remplis d’eau. Plusieurs bateaux sombrent également dans le port de Liège, tandis que la Ville fait évacuer préventivement les quartiers les plus exposés. Fait insolite, les pompiers sauvent une vache dans la Meuse, et après identification, il s’avère qu’elle provient d’une exploitation de la vallée de l’Ourthe à plus de 100 kilomètres de là !

    En aval, la province de Limbourg est fortement touchée par la crue de la Meuse, comme à Masseik, Lanaken, Dilsen-Stokkem et Lanaye. A Lanaken, on retrouve même des effets personnels et des poubelles publiques originaires de Trooz, situé à près de 60 kilomètres de là sur la Vesdre.

    De même, la Meuse déborde entre Dinant et Namur, mais les conséquences sont anecdotiques par rapport à d’autres régions.

    Lorsque l’eau se retire enfin, certaines localités sont méconnaissables, et de véritable scènes de guerre apparaissent. La reconstruction prendra des mois, voire des années. À ce moment tombent aussi les relevés pluviométriques qui, comme on pouvait s’y attendre au vu des dégâts, sont impressionnants :

    • 271,5 mm à Jalhay (province de Liège)
    • 260,8 mm à Hockai (province de Liège)
    • 217,1 mm à Spa (province de Liège)
    • 202 mm à Dolembreux (province de Liège)
    • 192,4 mm au Mont-Rigi (province de Liège)
    • 189,0 mm à Neu-Hattlich (province de Liège)
    • 156,3 mm à Gouvy (province de Luxembourg)
    • 149,4 mm à Recht (province de Liège)
    • 139 mm à Strée (province de Liège)
    • 138,4 mm à Archennes (province du Brabant Wallon)
    • 130 mm à Chaineux (province de Liège)
    • 129,2 mm à Sint-Pieters-Voeren (province de Limbourg)
    • 128,8 mm à la Baraque Fraiture (province de Luxembourg)
    • 126,2 mm à Bastogne (province de Luxembourg)
    • 126 mm à Vezin (province de Namur)
    • 125 mm à Havelange (province de Namur)
    • 121,2 mm à Buzenol (province de Luxembourg)
    • 119,2 mm à Herve (province de Liège)
    • 119 mm à Beaussaint (province de Luxembourg)
    • 116,9 mm à Bièvre (province de  Namur)
    • 115,8 à Weyler (province de Luxembourg)
    • 115 mm à Tarciennes (province de Hainaut)
    • 114 mm à Maillen (province de Luxembourg)
    • 111,4 mm à Senzeilles (province de Hainaut)
    • 109 mm à Gosselies (province de Hainaut)
    • 103,8 mm à Court-sur-Heure (province de Hainaut)
    • 102,6 mm à Jambes (Namur)
    • 101,5 mm à Gembloux (province de Namur)
    • 100 mm à Aywaille (province de Liège)
    • 98,6 mm à Mélin (province du Brabant Wallon)

    Les cotes de 271 mm à Jalhay et 260 mm à Hockai sont parmi les plus élevées jamais mesurées dans notre pays. Le record de précipitations est de 242 mm à Herbesthal (province de Liège) en juin 1953, mais il s’agissait d’orages et cette mesure a été relevée en une seule journée, tandis que l’évènement actuel s’est déroulé sur 48 h environ. Toutefois, alors que les orages restent souvent très localisés, ici les fortes précipitations ont concerné une portion de territoire très vaste, engendrant un volume colossal d’eau qui est arrivé dans les cours d’eau, d’où les crues dévastatrices que l’on a observées. Cette longue liste de cumuls de pluie prouve à quel point les fortes précipitations ont été répandues.

    Les dégâts sont très impressionnants à Pépinster. Des quartiers entiers sont à reconstruire. Source : MetroLes dégâts sont très impressionnants à Pépinster. Des quartiers entiers sont à reconstruire. Source : Metro
    Certaines habitations ont littéralement été emportées par la crue, ne laissant que les fondations, comme à Pépinster. Source : RTBF Certaines habitations ont littéralement été emportées par la crue, ne laissant que les fondations, comme à Pépinster. Source : RTBF

    En outre, l’épisode pluvieux a aussi concerné le nord-est de la France, le Grand-Duché de Luxembourg, le Limbourg hollandais ainsi que l’ouest de l’Allemagne. Dans cette dernière région, les dégâts sont du même acabit que ceux observés en Belgique, mais à plus grande échelle encore. Tout comme le bilan humain, qui dépasse les 150 morts et une dizaine de disparus.