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03/01/2018 – Orages de la tempête « Eleanor »

    Durant la nuit du 2 au 3 et la journée du 3 janvier 2018, une dépression de tempête (nommée Eleanor) transite rapidement de l’Ecosse vers le Danemark en passant par la Mer du Nord.

    Cette dépression est originaire de l’ouest du bassin atlantique où elle naît d’une simple ondulation de surface entre Canada et Bermudes le jour de l’An. Tirant profit d’un fort contraste de températures (zone barocline) et d’un courant Jet poussé, cette dépression s’est progressivement creusée jusqu’à atteindre 1000 hPa en fin de nuit du 1er au 2, à environ 2000 km à l’ouest de la Bretagne. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le rythme de creusement s’est accéléré, suite à une interaction plus forte avec le Jet-stream et une anomalie de tropopause, pour atteindre une pression centrale sous 970 hPa en mer du Nord en matinée du 3. La dépression s’est ensuite lentement comblée en se dirigeant vers la mer Baltique.

    L’Irlande, la Grande Bretagne et les Pays-Bas ont ainsi été concernés par des vents violents en lien avec le creusement de la dépression et le gradient de pression associé (origine synoptique). Par contre, plus au sud, Belgique, France, Grand-Duché de Luxembourg, Suisse et Allemagne ont connu un épisode tempétueux plus hybride.

    Situation atmosphérique du 3 janvier 2018 (contrairement à ce qui est affiché sur la carte) à 1h00. Source : KNMISituation atmosphérique du 3 janvier 2018 (contrairement à ce qui est affiché sur la carte) à 1h00. Source : KNMI

    En effet, associé à celle-ci, un talweg très dynamique se rapproche de la Belgique et du nord de la France en apportant de l’air très froid en altitude (jusqu’à -32°C à 500 hPa). En outre, nos régions se retrouvent en sortie gauche d’un jet streak (rapide de Jet-stream), ce qui amène un contexte très cisaillé.

    Malgré une instabilité plutôt faible (MUCAPE proche de 200 J/kg et MULI jusqu’à -2 K), celle-ci s’avère suffisante pour autoriser la survenue d’orages très venteux. Ces derniers, organisés le long du front froid et dans la traîne juste à l’arrière de celui-ci, constituent par ailleurs l’essentiel de l’épisode tempétueux, les rafales synoptiques (pour faire simple, les rafales engendrées par le gradient de pression) se contentant de s’échelonner entre 80 et 90 km/h alors que le centre dépressionnaire passait au plus proche de nos régions en matinée.

    A partir de minuit, le vent s’intensifie par l’ouest à l’arrière du front chaud. Tandis que le front froid traverse l’ouest du pays, les rafales de vent, déjà puissantes, s’accentuent encore au fur et à mesure de la progression très rapide du front à travers le pays.

    En outre, la convection s’accentue sur le front froid peu avant 4 h du matin sur le centre du pays (sur un axe Anvers-Bruxelles-Mons et prolongation sur les Hauts-de-France). Une ligne de grains se développe ainsi sur ce front qui progresse vers l’est. Cette ligne va même adopter une forme de “LEWP” (ou ligne de grains en vagues très dynamique) en arrivant sur l’est de la Belgique.

    La ligne de grains sur l’est de la Wallonie à 5h00 le 3 janvier 2018. Source : Kachelmann Wetter.La ligne de grains sur l’est de la Wallonie à 5h00 le 3 janvier 2018. Source : Kachelmann Wetter.

    De virulentes cellules, parfois orageuses, produisent alors de violentes rafales de vent qui engendrent bon nombre de dégâts sur les provinces de Liège, Namur, Luxembourg, Anvers ainsi que les provinces des Brabants Flamand et Wallon et du Limbourg. On ne compte plus les arbres déracinées ou cassées, les lignes électriques à terre ainsi que les toitures endommagées. La vidéo suivante permet d’illustrer le passage de la ligne de grain à Namur : instant d’orage.

    De nombreuses observations montrent la brutalité du passage de cette ligne de grains. A son avant, les rafales sont modérées (comprises entre 60 et 80 km/h), puis montent en quelques minutes en intensité à l’arrivée de la ligne. En plusieurs endroits, les plus violentes bourrasques sont notées sur le bord arrière de la ligne, au moment où l’intensité des précipitations faiblit.

    Ces rafales descendantes sont liées à l’anomalie de tropopause et à l’intrusion d’air stratosphérique très froid et sec en moyenne troposphère. L’air sec assèche une partie des précipitations, entraînant le refroidissement et l’alourdissement des courants descendants des cellules, ceux-ci se retrouvant ainsi accélérés en direction du sol. Le vent revient à des valeurs plus modérées une fois le front suffisamment éloigné.

    Altitude de la tropopause (limite entre la troposphère et la stratosphère) selon le modèle Arome. L’anomalie, avec l’enfoncement d’air stratosphérique vers des altitudes plus basses, est montrée en bleu. La position du front froid a été rajoutée par nos soins. Source : Météo France via Météociel.Altitude de la tropopause (limite entre la troposphère et la stratosphère) selon le modèle Arome.
    L’anomalie, avec l’enfoncement d’air stratosphérique vers des altitudes plus basses, est montrée en bleu.
    La position du front froid a été rajoutée par nos soins. Source : Météo France via Météociel.

    Mur effondré à Deinze (province de Flandre Orientale). Crédit photo : Emelie Mervillie.Mur effondré à Deinze (province de Flandre Orientale). Crédit photo : Emelie Mervillie.
    Arbre sectionné à Belgrade (province de Namur). Crédit photo : Benjamin KampourisArbre sectionné à Belgrade (province de Namur). Crédit photo : Benjamin Kampouris
    Résineux cassé à Ciney. Auteur : Benjamin Gillet.Résineux cassé à Ciney. Auteur : Benjamin Gillet.

    Au sein de la ligne, certaines cellules engendrent ainsi des dégâts beaucoup plus conséquents mais localisés. Des enquêtes de terrains ont mis en évidence le passage de rafales descendantes dans les régions de Nandrin (province de Liège), Gingelom (province du Limbourg) et Landen (province du Brabant Flamand) (voir plus loin pour les détails).

    Au niveau des vitesses de vent mesurées, elles sont parfois élevées mais les plus fortes rafales sont surement passées à côté des stations de mesures, en particulier sous les cellules convectives. Voici les valeurs enregistrées :

    • Florennes (province de Namur) : 128 km/h
    • Emelgem (province de Flandre Occidentale) : 126,7 km/h. Donnée officieuse d’un particulier.
    • Zeebrugge (province de Flandre Occidentale) : 122 km/h
    • Humain (province de Luxembourg) : 115 km/h
    • Herhet (province de Namur) : 113 km/h
    • Uccle (Bruxelles) : 112 km/h
    • Ernage (province de Namur) : 105 km/h
    • Chièvres (province de Hainaut) : 101 km/h
    • Elsenborn (province de Liège) : 101 km/h

    Si on regarde chez nos voisins, des valeurs similaires ou plus élevées ont été mesurées à proximité de nos frontières, avec :

    • Cambrai (France) : 147 km/h
    • Vlissingen (Pays-Bas) : 141 km/h
    • Metz-Nancy-Lorraine (France) : 134 km/h
    • Saint-Quentin (France) : 131 km/h
    • Lille (France) : 101 km/h

    Ces valeurs sont plus représentatives de la vitesse de vents qui ont balayé localement la Belgique en cette fin de nuit. Par après, une traîne active s’organise rapidement à l’arrière des systèmes frontaux. Cependant, malgré un potentiel marqué, seulement deux orages multicellulaires parviennent à se développer.

    Une première ligne d’averses se forme sur le nord de la côte belge vers 6h du matin et devient orageuse au nord de Gand, en province de Flandre Orientale. Mais l’activité a du mal à se maintenir et seul quelques impacts sont observés, ainsi qu’en province d’Anvers, au cours de sa progression vers l’est. Toutefois, l’activité se renforce sur l’ouest de la province du Limbourg. Une fois arrivée en Allemagne vers 8h la ligne orageuse s’intensifie nettement et va progresser jusqu’à Prague, en République Tchèque.

    La deuxième ligne d’averses nait autour de 7h45 à l’ouest de Bruxelles et se renforce sur la province du Brabant Wallon aux alentours de 8h30. De fortes rafales de vent l’accompagne ainsi que localement d’intenses chutes de grésil. Peu après, une cellule devient orageuse sur l’ouest de la province de Liège et produit également de fortes chutes de grésil sur l’agglomération liégeoise. Des dégâts dus au vent sont aussi signalés. Par après, l’orage continue jusqu’à la frontière allemande qui est atteinte peu avant 10h. Il poursuit ensuite sa route jusqu’à l’est de Bonn.

    Voici une vidéo qui témoigne du passage de l’orage à Liège : Orage à Liège.

    Il est à noter que, comme souvent dans ce contexte, les lignes de grains n’ont été animées que par une activité électrique très sporadique, pour ne pas dire inexistante sur une grande partie de celles-ci. Ceci est lié au fait que les cumulonimbus hivernaux sont moins hauts que leurs collègues estivaux, entraînant une électrification moindre. En revanche, les autres éléments comme les précipitations et le vent peuvent être violents, notamment pour ce dernier.

    En outre, vu les précipitations importantes tombées lors des passages frontaux, et les pluies des jours précédents, de nombreux cours d’eau voient leur niveau fortement augmenter. Certains sortent de leur lit et des inondations sont observées, essentiellement en province de Namur et de Luxembourg (bassin de la Lesse) mais aussi en provinces d’Anvers, de Flandre Orientale, et du Brabant Flamand (bassin de la Dendre et de l’Escaut).

    Situation des cours d'eau wallons le 3 janvier 2018 à 18h30. Source : voies-hydrauliques.wallonie.beSituation des cours d’eau wallons le 3 janvier 2018 à 18h30. Source : voies-hydrauliques.wallonie.be

    Par ailleurs, quatre personnes ont été blessées par des chutes d’arbres dans notre pays (dont une à Nandrin). Voici quelques liens médiatiques pour avoir d’avantages d’informations sur les dégâts de la tempête :

    Dans les pays voisins, la tempête a aussi causé des dégâts, avec des rafales de vent jusqu’à 160 km/h au Royaume-Uni, 156 km/h en Allemagne et 185 km/h en Corse (France).

    Eolienne couchée par un phénomène venteux en Allemagne (Volksdorf près d'Hambourg). Source : WetteronlineEolienne couchée par un phénomène venteux en Allemagne (Volksdorf près d’Hambourg). Source : Wetteronline

    La vidéo suivante montre le passage d’une ligne de grain dans le sud-ouest de l’Allemagne : Arbres brisés par la tempête.

    Outre le vent, la pluie a causé des inondations et de fortes chutes de neige sont responsables d’avalanches dans les Alpes.

    Véhicule emporté par les inondations en Isère (France). Une personne est décédée et une autre disparue.Véhicule emporté par les inondations en Isère (France). Une personne est décédée et une autre disparue.
    Source: Météo Grenoble. Crédit photo : @ledauphine

    1. Enquête de terrain à Nandrin

    Carte représentant le couloir de dégâts à Nandrin (compris entre les lignes pointillées). Source : Google MapsCarte représentant le couloir de dégâts à Nandrin (compris entre les lignes pointillées). Source : Google Maps

    C’est la rue Fond de Bèche qui a été la première touchée (1). La toiture d’une maison a été fortement endommagée, dont une partie qui s’est envolée sur la route. Plusieurs arbres ont également été brisés.

    Carte représentant le couloir de dégâts à Nandrin (compris entre les lignes pointillées). Source : Google MapsDommages conséquents sur une habitation de la rue Fond de Bèche, à Nandrin. Crédit photo : Goeffrey Schroeders.

    Ensuite, ce sont des parcelles forestières qui ont subi les assauts des vents. De nombreux arbres ont été déracinés ou cassés rue Fond de Bèche et rue Tige Paquette.

    Dégâts sur une parcelle de feuillus à Nandrin. Crédit photo : Goeffrey SchroedersDégâts sur une parcelle de feuillus à Nandrin. Crédit photo : Goeffrey Schroeders
    Dégâts sur une parcelle de résineux à Nandrin. Crédit photo : Goeffrey Schroeders.Dégâts sur une parcelle de résineux à Nandrin. Crédit photo : Goeffrey Schroeders.

    Par après, la rafale descendante a touché une zone agricole où il est difficile de déceler son passage.

    2. Enquête de terrain à Landen

    Carte représentant les couloirs de dégâts au sud de Landen (compris entre les lignes pointillées). Source : Google MapsCarte représentant les couloirs de dégâts au sud de Landen (compris entre les lignes pointillées). Source : Google Maps

    Contrairement à Nandrin, nous avons pu déceler plusieurs couloirs, situés au sud de Landen. La zone étant plutôt agricole, les dégâts se concentrent sur les endroits habités. A Sint-Gertrudis, ce sont des boxes à chevaux qui ont été endommagés (1), blessant certains animaux. Un peu plus loin à Walsbets, plusieurs toitures d’habitations ont été endommagées sur la Hannuitsesteenweg (2), dont une qui s’est entièrement envolée. Les mêmes dégâts sont visibles sur la Wezerenstaat (3), où des tuiles se sont décrochées et des cheminées se sont écroulées. Ici aussi, la toiture d’une maison s’est envolée, endommageant au passage un pignon.

    Toiture envolée et pignon effondré sur une habitation de la Wezerenstaat à Walsbets (Landen). Crédit photo : François RiguelleToiture envolée et pignon effondré sur une habitation de la Wezerenstaat à Walsbets (Landen).
    Crédit photo : François Riguelle

    De l’autre côté de la Hannuitsesteenweg (4) Plusieurs arbres sont brisés ou déracinés. On retrouve aussi des morceaux d’isolants sur plusieurs centaines de mètres dans les champs en aval.

    Toiture envolée et pignon effondré sur une habitation de la Wezerenstaat à Walsbets (Landen). Crédit photo : François RiguelleEpicéa brisé par la rafale descendante à Walsbets (Landen). Crédit photo : François Riguelle.

    Ensuite, un autre couloir a touché Wamont (Waasmont). Au niveau de la Waasmontstraat, des épicéas ont vu leur cime se briser (5) et des tuiles se sont envolées de plusieurs toitures. L’une d’entre elle s’est même complètement décrochée (6).

    Toiture envolée sur la Waasmontstraat à Wamont (Landen). Crédit photo : François RiguelleToiture envolée sur la Waasmontstraat à Wamont (Landen). Crédit photo : François Riguelle

    Par après, un troisième couloir a été identifié à Houtain-l’Evêque où plusieurs toitures ont été endommagées sur la Hannuitsesteenweg (7) et la Steenweg op Sint-Truiden (9). Certains arbres ont aussi été cassés, dont un peuplier de bonne taille (8).

    3. Enquête de terrain à Gingelom

    Carte représentant les couloirs de dégâts à Gingelom (compris entre les lignes pointillées). Source : Google MapsCarte représentant les couloirs de dégâts à Gingelom (compris entre les lignes pointillées). Source : Google Maps

    Nous avons pu déterminer deux couloirs distincts, mais il se pourrait qu’un troisième ait touché le centre du village, mais les dégâts y sont plus faibles. Une parcelle boisée a été touchée (1) et la plupart des arbres sont brisées ou déracinés.

    Dégâts sur une parcelle boisée à Gingelom. Crédit photo : François RiguelleDégâts sur une parcelle boisée à Gingelom. Crédit photo : François Riguelle

    Ensuite, le terrain de football a été atteint (2). Deux des pylônes d’éclairage se sont pliés et plusieurs petits bâtiments ont été endommagés. Des morceaux de tôles sont projetés sur une centaine de mètre.

    Dégâts au terrain de football de Gingelom. Crédit photo : François RiguelleDégâts au terrain de football de Gingelom. Crédit photo : François Riguelle

    Ensuite, les habitations de la Steenweg (3) ont vu des tuiles s’envoler, parfois sur une majeure partie de leur toiture. Des arbres ont également été cassés (4).

    Arbres brisés par la rafale descendante à Gingelom. Crédit photo : François RiguelleArbres brisés par la rafale descendante à Gingelom. Crédit photo : François Riguelle

    Plus au sud, un deuxième couloir a endommagé aussi plusieurs toitures de part et d’autre de la Steenweg (5 et 6), ainsi que des arbres.

    Ailleurs en Belgique, d’autres cas de phénomène venteux sévères sont reportés dans les régions d’ Elsenborn-Weywertz, Waimes, Engis, Lincent (province de Liège), Vielsalm-Petit Halleux (province de Luxembourg) et Piringen-Tongeren (province du Limbourg). Des investigations supplémentaires seraient nécessaires pour confirmer la nature exacte des phénomènes, mais l’hypothèse la plus privilégiée est l’occurrence de rafales descendantes.

    Ferme endommagée à Wégifat (Waimes,province de Liège). Source ; DH.be. Auteur non communiqué.Ferme endommagée à Wégifat (Waimes,province de Liège). Source ; DH.be. Auteur non communiqué.
    Toiture envolée à Piringen (Tongres, province du Limbourg). Source : HBVL. Crédit photo : diro.Toiture envolée à Piringen (Tongres, province du Limbourg). Source : HBVL. Crédit photo : diro.
    Parcelle forestière ravagée par une probable rafale descendante près de Vielsalm (province du Luxembourg). Source : DH.be. Auteur non communiqué.Parcelle forestière ravagée par une probable rafale descendante près de Vielsalm (province du Luxembourg). Source : DH.be. Auteur non communiqué.

    En outre, des dégâts parfois conséquents sont également reportés ailleurs, notamment à Cielle, Tailles-Wanderburcy (province du Luxembourg), Ravels-Arendonk (province d’Anvers), Riemst, Kortessem-Bilzen-Waltwilder (province du Limbourg), Chimay (province du Hainaut), Philippeville-Florennes, Ciney (province de Namur) et Chaineux (province de Liège). Dans ces cas-ci, nous ne disposons pas d’informations suffisantes pour déterminer de le phénomène venteux à l’origine de ces dommages (tornades, rafales descendantes ou simples rafales convectives).

    Ceci met fin à cet épisode tempétueux qui, malgré les dires des médias, n’est pas exceptionnel. En effet, le passage de telles dépressions est courant en hiver. Toutefois, ce sont les cellules convectives qui sont responsables des plus gros dégâts, comme lors des orages d’été. Ces orages hivernaux sont un peu moins courants, mais pas exceptionnels non plus. On se souvient notamment du 27 février 2017 et du 3 janvier 2014.