Après les violents orages du 3 janvier, la Belgique a connu un second épisode orageux majeur en date du 25, sous l’action d’une puissante dynamique d’altitude et d’une certaine instabilité. Une ligne de grain s’est formée sur le Royaume-Uni pour venir sévir dans l’ouest et le nord-ouest de la Belgique durant la soirée. Si l’activité électrique a été plutôt limitée, la très forte dynamique a boosté le caractère venteux des cellules orageuses, celles-ci s’accompagnant de rafales destructrices et de phénomènes tourbillonnaires sur l’ouest de la Flandre et l’extrême nord de la France.
Activité pluvieuse durant le passage des orages. On note que la pluie ne fut pas
l’élément prépondérant durant cette offensive contrairement au vent.
Source : Buienradar
Mais avant de s’attarder sur les conséquences de ces orages multicellulaires, revenons au contexte qui permis à ceux-ci de se concrétiser. Tout d’abord, entre 17h et 19h, nous avions une instabilité médiocre à faible (200 J/kg voire 300 J/kg de CAPE ou « Energie Potentielle Convective Disponible (EPCD) » en français) au-dessus de la Mer du Nord. Cependant, celle-ci se voyait synchronisée dans l’espace et le temps avec une dynamique atmosphérique très importante comportant une profonde anomalie de tropopause, la sortie gauche d’un courant jet puissant positionné au-dessus du nord de la France (celui-ci soufflant à près de 200 km/h) ainsi qu’un talweg de surface bien dessiné. On notait également un courant jet de basse couche bien établi. En somme, la faible instabilité était l’élément qui apportait la seule incertitude pour la concrétisation des orages car c’est principalement ce paramètre qui aide au déclenchement de la convection conduisant à la formation des orages et comme celui-ci fut particulièrement faible, il augmentait sensiblement cette incertitude.
Réanalyse du 25 janvier 2014 à 19h00. La Belgique se trouve surplombée par la sortie gauche d’un Jet-stream,
zone favorisant les ascendances des masses d’air situées en-dessous. Le creux (non visible sur cette carte)
déboule de l’Angleterre à la Mer du Nord à cette heure. Source : Meteociel
Cependant, vers 19h00, des cellules convectives en provenance de l’Angleterre se structurèrent rapidement au-dessus de la Mer du Nord en formant une ligne continue. La très forte dynamique donna une caractéristique de LEWP à la ligne en question, elle-même incluse au sein d’un derecho. Venant de l’anglais, un LEWP ou « Line Echo Wave Pattern » correspond à la présence de plusieurs échos en arc (Bow echo en anglais) au sein du système orageux linéaire, ce qui lui donne l’apparence d’une ondulation sur une image radar plus ou moins précise. Les courbes formées par les différents échos en arc sont des caractéristiques qui mettent en évidence la présence d’un fort courant d’altitude avec le risque de voir survenir de puissantes rafales de vent au passage de ces structures.
Activité électrique durant le passage de la ligne de grain.
Source : Blids
Une fois rentré dans les terres, le système provoqua des dégâts sur de vastes régions des provinces de Flandres Occidentale et Orientale surtout. Vers Kortrijk, Poperinge, Wervik, Rekkem, Veurne, Izegem, Roeselare, Koksijde, Wingene, Torhout, Deinze, Yper, Moorsele, Ruiselede ou même Brugge, on observa des arbres déracinés ou cassés (qui tombèrent sur des voitures ou des cabines de haute tension), des tuiles envolées, des tôles arrachées, des murs effondrés, des toitures partiellement ou totalement envolées, des poteaux électriques déstabilisés ou encore l’un ou l’autre bâtiment touché par la foudre comme ce fut le cas à Koksijde où des personnes furent blessées par des éclats de verre. Pour plus d’informations et des images des dégâts, nous vous invitons à consulter le lien suivant qui renvoie vers un suivi de ces orages opéré par les passionnés de la région flamande et des Pays-Bas : Onweer Online
Dégâts perpétrés par la ligne de grains en province de Flandre Occidentale, le 25 janvier 2014.
Source : VRT. Auteur non-communiqué
Camion endommagé par de très fortes rafales de vent sous la ligne de grains, en province
de Flandre Occidentale, le 25 janvier 2014. Source : VRT. Auteur non-communiqué
Habitation éventrée par un violent phénomène venteux le 25 janvier 2014, en province
de Flandre Occidentale. Source : VRT. Auteur non-communiqué
Pour en venir aux dégâts les plus spectaculaires, certaines zones ont été profondément touchées de telle sorte que des toitures totalement détruites et des grues de chantiers renversées furent constatées. Dans les communes de Rumbeke, Oekene, Izegem et Moorsele, les dégâts sont tels qu’un premier rapport fait penser à l’occurrence d’une rafale descendante ayant une force T3 sur l’échelle de Torro (149 km/h à 183 km/h) alors que les communes de Rekkem, Lauwe et Aalbeke ont été concernées par une tornade d’intensité F2 sur l’échelle de Fujita (180 km/h à 250 km/h). Quand à la commune de Wingene, elle a été touchée par une tornade d’intensité F1 sur l’échelle de Fujita (120 km/h à 180 km/h).
Dégâts causés par une tornade d’intensité F1 dans la région de Wingene,
en province de Flandre Occidentale. Crédit photo : Jean-Yves Frique
Dégâts causés par une tornade d’intensité F2 dans la région de Rekkem,
en province de Flandre Occidentale. Crédit photo : Jean-Yves Frique
En outre, quelques dégâts furent aussi perpétrés en Wallonie où c’est la région de Tournai qui semble avoir été la plus touchée. Comme en Flandre, ce sont surtout des arbres couchés sur la route et des tuiles envolées qui ont été observés. Ailleurs, on a eu affaire aux mêmes constats du côté de Blandain et Havinnes toujours en province de Hainaut. En province de Brabant Wallon, à Wavre, Genval et Ottignies, des dégâts mineurs ont été causés tels que des câbles électriques tombés sur la route et aussi des tuiles envolées comme en Flandre. Les pompiers ont effectué quelques sorties pour dégager ces différents débris. Le vent a aussi fait tomber un arbre sur le ring à hauteur de Waterloo, ce qui a entrainé l’interruption de la circulation durant une partie de la nuit. Dans la région de Charleroi, à Luttre et Montignies-Sur-Sambre, on a constaté des arbres tombés sur les voiries. Toutefois à ce moment, le système ne présentait plus d’activité électrique et avait déjà entamé une phase de déstructuration. C’est sans sévérité particulière que le corps pluvieux résultant traversa l’est du pays avant de sortir en direction de l’Allemagne.
Durant cet épisode, notre équipe de traqueurs d’orages était positionnée dans la région de Zeebrugge afin de bénéficier des nombreux éclairages pour observer les différents phénomènes se produisant durant le passage de la ligne de grain. À la plus grande surprise de notre équipe, un double coup de foudre a frappé l’une des grues portuaires présentes dans le cadre de la photographie, provoquant du même coup l’apparition de nombreux traceurs ascendants sur les structures aux alentours dont deux autres grues. Notre équipe est particulièrement étonnée de ramener un tel cliché car la foudre n’était certainement pas le phénomène le plus présent durant l’offensive, loin de là.
Double coup de foudre frappant une grue portuaire déchargeant un cargo.
De nombreux traceurs ascendants se sont produits à proximité des impacts.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Cette expérience est une aubaine car la capture d’un tel phénomène est à la fois scientifiquement et esthétiquement très intéressant et difficile à obtenir. On peut ainsi mettre en évidence que la foudre frappe au hasard l’une ou l’autre structure car les nombreux traceurs présents indiquent autant d’endroits où les éclairs principaux auraient pu se former. On voit également que les arêtes sont privilégiées.
Double impact de foudre, frappant la grue portuaire de gauche, accompagné
par des traceurs ascendants sur les deux autres grues.
Crédit photo : Samina Verhoeven
Pour en venir au phénomène notoire de la soirée, le vent, celui-ci engendra la majorité des dégâts sous forme de front de rafales (agissant tout juste à l’avant du système orageux). Particulièrement puissant, il a pu atteindre des valeurs qui ont pu dépasser localement les 100 km/h à 130 km/h. D’ailleurs, du côté des stations météorologiques, on a relevé bon nombre de mesures dépassant ces 100 km/h dont 101 km/h à Middelkerke et Oostende en province de Flandre Occidentale ou encore 104 km/h à Munte près de Gand en province de Flandre Orientale. En France, des valeurs importantes furent relevées dans les départements du NPDC (Nord-Pas-De-Calais) avec 126 km/h au Cap Gris-Nez, 128 km/h à Calais et 143 km/h à Echinghen située non loin de Boulogne-sur-Mer.
Bien entendu, les rafales de vent ont pu allègrement dépasser les 100 km/h dans beaucoup d’autres régions vu les dégâts observés dans certaines d’entre-elles. En effet, comme énoncé dans un paragraphe précédent, certains dégâts sont spectaculaires (toitures totalement éventrées, bâtiments pratiquement détruits) et il n’est pas impossible que les vents aient pu dépasser les 150 km/h à ces endroits. Les caractéristiques locales des phénomènes éoliens engendrés par ces orages ainsi que l’absence de stations météorologiques dans beaucoup de régions jouent beaucoup sur l’absence de telles mesures de la vitesse du vent durant cette offensive.
Celle-ci rappelle rappelle que si la plupart des orages frappant notre pays ont majoritairement lieux au printemps ou en été, certaines offensives hivernales peuvent provoquer d’intenses phénomènes. Les 5 février 2008, 5 janvier 2012, 5 février 2013 et 3 janvier 2014 sont ainsi de parfaits exemples pour le confirmer.
Notre collectif a réalisé un dossier sur cet épisode remarquable. Nous vous invitons à suivre le lien suivant pour le consulter : Derecho et Tornado Outbreak du 25 janvier 2014.