Analyse des conditions atmosphériques
Le 13 mars 2019, un noyau dépressionnaire (nommé Franz) se déplace de la Mer du Nord au Danemark. L’occlusion associée à celui-ci traverse la Belgique en journée tandis qu’une perturbation post-frontale touche le pays en fin d’après-midi.
Situation synoptique du 13 mars 2019 à 14h00. Source : KNMI
Situation synoptique du 13 mars 2019 à 20h00. Source : KNMI
Le vent, de secteur sud-ouest, s’oriente progressivement vers l’ouest en cours de journée. Le pays se trouve dans de l’air post-frontal instable avec des averses qui ne donnent que des pluies temporairement plus fortes. En fait, les cumulonimbus viennent littéralement s’encastrer dans la masse de stratocumulus, voire de nimbostratus qui recouvre le pays. Quelques éclaircies apparaissent l’après-midi sur l’ouest et le centre du pays, et plus rarement aussi sur l’est.
Les températures maximales ne dépassent pas 9 à 10°C en plaine et 3 à 4° sur le relief.
À partir du milieu de l’après-midi, nous avons de l’activité orageuse ponctuelle sur la moitié nord de la Belgique, qui se généralise par la suite sur le pays, puis se propage vers l’est-sud-est en dépassant nos frontières, entre autres vers l’Eiffel et l’Allemagne, où une tornade assez forte arrive à se former dans la région de Roetgen, vers 16h30.
Cependant, le temps sur l’extrême est de la Belgique est mauvais et assez froid pour la saison avec des précipitations tout au long de la journée, d’abord sous forme de pluies continues puis sous forme d’averses. Mais le ciel ne se dégage pas pour autant entre les averses. Au nimbostratus pluvieux de la matinée succèdent des cumulonimbus à l’aspect menaçant qui alternent avec des moments où le ciel est juste un peu plus clair, avec des stratocumulus laissant voir par moment l’altostratus qui est au-dessus. À cela s’ajoutent encore un bon nombre de fractus liés aux précipitations. À partir de 500 mètres d’altitude, ces précipitations tombent en partie sous forme de neige, mais ne donnent pas lieu à un nouvel enneigement.
Ainsi, les webcams voisines d’Eichercheid, Simmerath et Montjoie montrent bien une absence d’éclaircies dans la régionI ou il fait humide et froid. Roetgen se situant entre 400 et 500 mètres d’altitude a connu des températures de quelques 4 à 5°C, suivis par une baisse temporaire de 2 à 3°C sous les précipitations. À partir de 550 mètres d’altitude, on observe temporairement de la neige et des traces de neige sont également encore présentes au sol. À priori, rien n’indique donc à un observateur au sol la survenue d’une tornade !
Il faut donc chercher les conditions favorables à sa formation en altitude.
En effet, le froid des basses couches donne une instabilité médiocre sur les 1000 premiers mètres au-dessus du sol. Par contre, au-dessus, l’instabilité devient très bonne. En plus, on observe de beaux cisaillements tournants (« veering »), le vent soufflant du sud-ouest en surface et dans les basses couches, d’ouest-nord-ouest dans les couches moyennes et de nord-ouest dans les couches supérieures de l’atmosphère. De plus, l’est de la Belgique se trouve en sortie gauche d’un jet-streak, ce qui apporte une bonne dynamique supplémentaire en altitude.
Carte des vents moyens en surface le 13 mars 2019 à 16h00. Source : Meteociel
Carte du jet stream à 300 hPa le 13 mars 2019 à 16h00. Source : Meteociel
L’instabilité étant très faible en surface, un petit coup de pouce est certes d’abord nécessaire en surface mais, après, des cellules virulentes peuvent facilement se développer au vu des conditions très favorables en altitude. Le coup de pouce, c’est sans doute le relief qui l’a donné.
Carte de l’instabilité (MUCAPE) des basses couches sur la Belgique le 13 mars 2019 à 16h00.
Source : Meteociel
Analyse de la cellule orageuse productrice de la tornade
La cellule prend naissance à l’ouest de Malines, en province d’Anvers, aux alentours de 14h30. elle progresse vers l’est-sud-est en direction de l’est de la Belgique. Dans un premier temps, l’averse est de faible intensité et non-orageuse.
Ensuite, elle connaît une intensification temporaire dans la région de Tongres, en province de Limbourg, entre 15h30 et 15h45. Quelques impacts de foudre sont alors relevés mais l’orage ne perdure pas très longtemps.
Cependant, à 16h05, la cellule arrive sur le relief du Pays de Herve, en province de Liège, plus précisément dans la région de Hombourg – La Calamine. Elle connait une brusque intensification en abordant les contreforts des Hautes Fagnes.
Carte de réflectivité radar du 13 mars 2019 à 16h00 et à 16h10. On remarque une forte
intensification de la cellule. Source : Kachelmann
Ce forçage des basses couches à cause du relief va permettre à la cellule d’avoir un développement explosif. Dès 16h15, un écho en crochet est visible sur les images radars dans la région de Raeren. Celui-ci perdure jusque 16h40 alors que l’orage se trouve dans la région de Simmerath. Par après, la cellule perd un peu en activité et continue sa route en Allemagne.
Carte de réflectivité radar du 13 mars 2019 à 16h15, 16h20, 16h25, 16h30 et 16h40. On peut voir
l’évolution de la cellule orageuse ainsi que l’écho en crochet. Source : Kachelmann
C’est justement pendant que l’écho en crochet est visible sur les images radars que la tornade sévit, entre Raeren et Simmerath. Cela nous amène à penser que l’orage a évolué en supercellule LT (« Low Topped » ou « bas sommet » en français). Également, il semblerait qu’un BWER soit visible sur la région de Woffelsbach (nord-est de Simmerath), signe d’un fort courant ascendant. C’est à cet endroit que la tornade s’est dissipée.
En outre, d’autres cellules ont adoptés ces mêmes caratéristiques sur l’Ardenne. Cependant, vu que ces caractéristiques supercellulaires ne perdurent pas dans le temps (10 -15 min), il est difficile de classer formellement ces orages comme tels.
Les imageries Doppler de Kachelmann relèvent également la présence d’un dipôle temporaire mais qui correspond à l’heure et à l’endroit de la survenue de la tornade.
Imagerie Doppler du 13 mars 2019 à 16h25 et à 16h30. On peut y voir un dipôle dans
la région de Raeren – Simmerath. Source : Kachelmann
Analyse de la tornade
Nous nous basons ici sur les enquêtes de terrains menées par les allemands Maickel Althuizen (chasseur d’orages), René Pelzer (Eifelmomente), Jerome Schyns (étudiant en météorologie), Patrick Symma, Thomas Wamberg (wetterservice Koblenz), Wanja Wiese (chasseur d’orages) et Andy Holz (huertgenwaldwetter).
La tornade parcours environ 16 kilomètres depuis la frontière belge au nord de Petergensfeld (province de Liège) jusqu’à Wolffensbach (Allemagne), entre 16h25 et 16h40 environ. Son intensité est estimée au niveau F2 – T4 au vu des dégâts observés sur les bâtiments. Toutefois, les allemands de « WTINFO Tornado Research Project » la classe F3 – T6. Mais cette valeur nous semble surestimée, tout comme pour d’autres enquêteurs allemands. Il est possible qu’en réalité, l’intensité maximale a atteint F2 – T5 très localement sur des parcelles boisées, soit une valeur moyenne entre les deux précitées (la vitesse du vent a atteint des valeurs comprises entre 220 et 254 km / h).
Toutefois, nous retenons F2 – T4 comme étant l’intensité maximale de cette tornade.
Le tourbillon a également été observée par de nombreux témoins tout au long de son parcours. Plusieurs vidéos circulent également sur les réseaux sociaux. Il en résulte qu’elle a été fortement médiatisée à travers l’Europe.
La tornade de Roetgen du 13 mars 2019 vers 16h30. Crédit vidéo : Stormhunter1703. Source : Youtube
Voici un témoignage, traduit de l’allemand :
[Elle a ouvert la fenêtre de sa terrasse.] « Là, la tornade a foncé sur moi. Je l’ai vue. C’était un tourbillon gris et il venait très vite. Les branches volaient dans les airs. » [Elle n’a pas eu le temps d’avoir peur et elle s’est précipitée dans la cave.] « Tout était déjà fini. Le tout n’a duré que 20 à 30 secondes. Puis le calme est revenu. »
Marina Albrecht.
Carte reprenant le parcours de la tornade de Roetgen du 13 mars 2019. Source du parcours : Wetterservice Koblenz. Source de la carte : Google Maps
La tornade touche le sol juste après la frontière, à quelques mètres de la Belgique, dans une enclave allemande (1). (Toutefois, il n’est pas exclu qu’elle ait déjà touché le sol avant, en Belgique, mais le terrain difficile d’accès rend toute enquête compliquée à réaliser.) Elle fait ses premiers dégâts à la végétation, des arbres étant déracinés, brisés ou ébranchés. Un mirador est également emporté. L’intensité est estimée à F1-T3
Dégâts portés aux arbres par la tornade de Roetgen, à la frontière belgo-allemande (1). Source : Wetterservice Koblenz
Ensuite, elle frôle la zone industrielle de Roetgen (2). Une entreprise est en partie endommagée et voit des tôles provenant de sa toiture ainsi que l’une de ses façades s’envoler. L’intensité reste identique.
Dégâts observés sur une entreprise de Roetgen (2), lors de la tornade du 13 mars 2019. Source : Wetterservice Koblenz
Un peu plus loin, le tourbillon traverse la route B 258 en déracinant quelques arbres (3). Un hôtel subit également quelques légers dégâts périphériques (le Marienbildchen) et une voiture est déplacée puis retournée sur le côté.
Arbre déraciné par la tornade de Roetgen à hauteur de la route B 258 (3), le 13 mars 2019. Source : Eifelmomente.de
Par après le vortex arrive en Belgique (4) et traverse la Vennbahn (Ligne des Fagnes en français). Il s’agit d’une ancienne ligne de chemin de fer qui a été cédée à la Belgique par le traité de Versailles. Plus loin, la tornade retraverse la frontière et continue sa route en Allemagne en décimant plusieurs parcelles boisées. L’intensité maximale semble avoir été atteinte ici, au stade F2 – T4 voire possiblement F2 – T5 très localement.
Chêne centenaire sectionné par la tornade de Roetgen du 13 mars 2019. Crédit photo : Björn Stumpf.
Source : WTINFO Tornado Research Project
Parcelles forestières ravagées par la tornade de Roetgen du 13 mars 2019. Crédit photo : Björn Stumpf.
Source : WTINFO Tornado Research Project
Elle touche alors un bosquet (5), situé en fond de vallée, qui est ravagé. De nombreux arbres se retrouvent à terre et une caravane est retournée par le tourbillon. L’intensité est estimée au niveau F1-T3.
Bosquet ravagé (5) par la tornade de Roetgen, le 13 mars 2019. Source : Eifelmomente.de
Cela est confirmé plus loin où la tornade touche une trentaine d’habitation située à l’extrémité du village de Roetgen (6). L’intensité approche ponctuellement F2 – T4. Par chance, le centre du village n’était pas sur la trajectoire. Malgré tout, cinq personnes sont blessées. Les rues Rotter G. et Haubtstabe sont concernées. De nombreuses maisons ont des tuiles arrachées, parfois même une partie entière de leur toiture. En outre, une voiture est déplacée, des poteaux d’éclairages sont tordus, les jardins sont dévastés et des vitres sont brisées. La tornade atteint aussi sa largeur maximale, comprise entre 300 et 340 mètres.
Partie de toiture arrachée par la tornade sur une habitation de Roetgen, le 13 mars 2019. Source : Aachener Zeitung
Dégâts engendré par la tornade sur une habitation de Roetgen, le 13 mars 2019. Source : Aachener Zeitung
Caravane déplacée et toiture endommagée par la tornade sur une habitation de Roetgen, le 13 mars 2019. Source : Aachener Zeitung
Garage effondré à la suite du passage de la tornade de Roetgen, le 13 mars 2019. Source : Aachener Zeitung
Dommages constatés à la suite du passage de la tornade de Roetgen, le 13 mars 2019. Source : Aachener Zeitung
Par après le vortex arrive sur la route Kuhberg (7) et plusieurs maisons voient leurs toitures s’envoler entièrement. Les arbres aux alentours sont également déchiquetés. L’intensité augmente pour atteindre le stade F2 – T4.
Des débris provenant des bâtiments de Roetgen sont retrouvés tout au long de la trajectoire de la tornade, et même après que celle-ci se soit dissipée. Ainsi, un morceau d’isolant (avec le numéro de série) a été retrouvé à environ 28 kilomètres de son lieu d’origine !
Toiture arrachée par la tornade de Roetgen, le 13 mars 2019, route Kuhberg (7). Source : Aachener Zeitung
Arbres couchés et débris emportés par la tornade de Roetgen du 13 mars 2019. Source : Aachener Zeitung
Ensuite, la tornade remonte le relief dans un massif forestier difficile d’accès (8). Elle longue la frontière belge, la frôlant en certains endroits. Là où des routes permettent l’accès au bois, des dommages sont observés à la végétation (9). L’intensité baisse pour se trouver autour du niveau F1 – T2
Résineux sectionnés par la tornade de Roetgen (9), le 13 mars 2019, au nord-ouest de Lammersdorf. Source : Andy Holz
Plus loin, deux fermes sont endommagées le long de la route B 399 (10), au nord du village frontalier de Lammersdorf. Les dégâts sont assez faibles, les toitures étant légèrement endommagées. L’intensité est de niveau F0 – T1. Un mirador se renverse également, et des arbres sont brisés ou déracinés.
Tuiles envolées sur une ferme de Lammersdorf (10), à la suite du passage de la tornade de Roetgen du 13 mars 2019.
Source : Wetterservice Koblenz
Mirador renversé par la tornade de Roetgen (10) du 13 mars 2019. Source : Wetterservice Koblenz
Par après, un nouveau massif forestier est traversé (11). Quelques légers dégâts à la végétation sont observés, confirmant la baisse en intensité du tourbillon. Il en est de même au nord des village de Rollesbroisch (12), Strauch (13), et Steckenborn (14). L’intensité variant entre F0 – T0 et F0 – T1 sur ce plateau.
Toutefois, la tornade connait une nouvelle intensification en arrivant sur le village de Woffelsbach, qui se situe au bord d’un lac (15). Le relief a du jouer un rôle dans ce regain d’activité, d’ailleurs c’est la zone située près du lac qui est la plus touchée. En effet, des caravanes d’un camping sont renversées et déplacées, des toitures sont endommagées, des arbres sont brisés et un ponton subit aussi des dégâts. L’intensité est ici estimée au stade F1 – T3.
Caravane renversée par la tornade de Roetgen à Woffelsbach (15), le 13 mars 2018. Source : Eifelmomente.de
Ponton déplacé par la tornade de Roetgen sur le lac de Woffelsbach (15), le 13 mars 2019. Source : Eifelmomente.de
La tornade survole ensuite le lac et gravit une pente boisée (16) où elle se dissipe rapidement en causant encore de légers dommages aux arbres.
En conclusion, l’influence du relief sur le comportement de la tornade est indéniable. On constate à plusieurs endroits qu’elle se renforce en descendant une pente et inversement. Il est également probable que ce même relief a joué un rôle dans sa formation et son maintien, en apportant des cisaillements supplémentaires dans les (très) basses couches de l’atmosphère.
Pour obtenir davantage d’informations et de photographies, les liens suivants sont disponibles :