Après un été où les orages ont brillé par leur absence en Belgique, l’automne climatologique est, au contraire, particulièrement actif. Septembre 2022 est le neuvième mois de l’année le plus orageux depuis 1990, et a présenté des offensives de très bonne facture, notamment entre le 3 et le 8. Après un début octobre relativement (et classiquement) plus calme, le dixième mois de l’année fournit à son tour les conditions d’une dégradation digne de la haute saison en fin d’après-midi et en soirée du 23 octobre 2022. Il en résulte des orages d’une ampleur exceptionnelle pour la saison entre le nord de la France et l’ouest de la Belgique.
L’un de ces orages, très intense et de nature supercellulaire, génère une série de tornades à travers les Hauts-de-France, dont une dévastatrice sur l’est du département du Pas-de-Calais. D’autres tornades sont identifiées en Hainaut belge au passage du même orage en soirée.
Le présent article, structuré en différentes sections, détaille les causes et le déroulé de cette offensive majeure ainsi que les résultats des analyses effectuées par Belgorage dans les mois qui suivirent ces événements.
Les ingrédients météorologiques d’un menu « haute saison »
La situation atmosphérique du jour est à l’image de cette année 2022: un énième virage du flux au sud-ouest amène de l’air maritime d’origine tropicale vers nos régions, entre la dépression de tempête Béatrice sur le proche Atlantique et un anticyclone sur l’Europe centrale. Deux avant-gardes se sont d’ailleurs produites les 17 et 20 octobre, à la faveur de bouffées d’air particulièrement instables pour la saison, mais une faible dynamique empêchait alors la survenue d’orages étendus et sévères.
Par contre, le contexte atmosphérique qui s’est mis en place dans l’après-midi du 23 octobre est digne des plus grandes offensives orageuses estivales, en conciliant justement instabilité et dynamique.
Ainsi, durant cette journée, nous retrouvons des températures qui atteignent 23,3°C à Paris-Montsouris, 21,6°C à Amiens en Picardie et 21,3°C à Havinnes située à l’ouest de la province de Hainaut. Sur le sud de la France, les 30°C sont mêmes titillés. La Belgique se retrouve quant à elle au bout d’un secteur chaud se refermant avec l’arrivée rapide d’un front froid progressant sur la France et la Manche. Ce dernier, avec de l’air maritime plus frais à l’arrière, est responsable d’un important conflit de masse d’air. Ce système frontal est associé à la dépression de tempête Béatrice, mentionnée auparavant, et qui remonte, à ce moment là, au large de la Bretagne.
Analyse de surface du 23 octobre 2022 à 20h00 (heure locale). Source: DWD
Le caractère moite de la masse d’air qui occupe les basses couches se note particulièrement bien via les valeurs de theta-e qui sont remarquablement élevées pour un mois d’octobre. Combiné au refroidissement en altitude, il en résulte une instabilité significative. Les modèles entrevoyaient ainsi une MLCAPE proche de 1000 J/kg (et une MUCAPE de l’ordre de 1500 J/kg), ce qui constitue des valeurs d’instabilité exceptionnellement élevées pour une fin octobre dans nos régions.
La haute troposphère est, quant à elle, marquée par une forte dynamique, via la présence d’un rapide de Jet-stream qui est positionné optimalement sur la France pour venir exercer des forçages sur la masse d’air moite présente en basses couches, via une zone de divergence notable associée à ce rapide et se retrouvant à l’aplomb de nos régions en fin de journée. Il en résulte un contexte particulièrement favorable aux ascendances à l’échelle synoptique.
Les cisaillements de vent sont également prononcés tant en vitesses qu’en directions. En basses couches, le flux est orienté au secteur sud-sud-est au sein du secteur chaud, et au sud-sud-ouest à l’arrière du front froid. En altitude, les vents viennent du sud-ouest et prennent de la vitesse progressivement, pour atteindre 180 à 200 km/h environ à l’altitude du Jet-stream.
Image illustrant le Jet-stream sur la France et la Belgique, issus du modèle WRF-2km, le
23 octobre 2022 à 16h00. Source : Meteociel
Notons également que la tropopause se trouve à une altitude de 12.000 mètres, ce qui est élevé pour la saison. Dès lors, nous avons une recette météorologique particulièrement favorable à la survenue d’une convection profonde, capable d’engendrer des orages violents, avec un risque supercellulaire non-négligeable. En basses couches, la structure desdits cisaillements (hélicité), avec de hautes valeurs (la SRH 0-1 km et 0-3 km atteignent 300 m²/s²) autorise la survenue de phénomènes tourbillonnaires, d’autant plus que le niveau LCL est très bas (altitude à laquelle les nuages peuvent se former = niveau de condensation). Ces cisaillements sont d’ailleurs maximaux depuis le département du Pas-de-Calais jusqu’à la Belgique (ouest de la province de Hainaut et de la province de la Flandre Orientale). Ce risque tornadique a bien été mis en évidence par Kéraunos en fin d’après-midi, mais également par Estofex. Le risque de fortes rafales de vent (> 100 km/h) est également bien présent, comme le démontre certains modèles, notamment ICON-D2.
Image illustrant l’hélicité relative (SRH 0-1 km) issue du modèle WRF 2 km, à 19h00 le 23 octobre 2022.
Nous remarquons que les cisaillements en basses couches sont élevés sur l’ouest du Hainaut. Source : Meteociel
Après un premier bulletin de prévisions émis en matinée et faisant état d’un risque limité de phénomènes sévères, Belgorage a effectué en seconde partie d’après-midi une mise à jour, en plaçant l’ouest de nos régions au niveau 1, et en insistant notamment sur le risque de phénomènes venteux et la possibilité d’une tornade locale.
Mise à jour du bulletin de Belgorage durant l’après-midi du 23 octobre 2022.
Déroulement d’une offensive orageuse majeure
Comme prévu par les différents organismes de prévision, les orages se forment en deuxième partie de journée et touchent durement le nord-ouest de la France, avant d’atteindre la Belgique. Ils se montrent particulièrement violents dans les Hauts-de-France. Ainsi, l’historique de ces orages est long, et est détaillé dans ce présent chapitre.
Naissance et progression d’une supercellule à longue durée de vie
La genèse des orages se trouve dans l’est de la Bretagne où des cellules sont déjà actives dès le début de l’après-midi. Une faible tornade est d’ailleurs observée à Concarneau, avec, pour conséquence, des dommages portés à la végétation. Ensuite, évoluant dans un flux rapide, ces cellules traversent la Normandie en moins de trois heures. Parmi celles-ci, on note la naissance, peu avant 15h00, d’un groupe d’orages particulièrement intenses juste à l’ouest de Le Mans. Le même groupe s’éteindra en soirée aux Pays-Bas, après avoir traversé très rapidement la Belgique de part en part entre 18h30 et 21h00.
Bien avant d’en arriver là, c’est vers 15h30 que la situation devient intéressante. En effet, on note l’évolution, au sein du groupe orageux précédemment mentionné, d’un noyau qui se mue en une supercellule très active sur la région de L’Aigle et qui balaie ensuite rapidement l’est de la Normandie en direction de la Somme. À son nord-ouest, d’autres orages au sein du groupe multicellulaire évoluent et présentent aussi pour quelques-uns un caractère transitoirement supercellulaire. Ces derniers engendrent des phénomènes venteux entre Lisieux et la Baie de la Seine. Une tornade est même signalée à Beuzeville (département de l’Eure), tandis que de fortes rafales de vent causent aussi des dégâts dans les localités suivantes : Coquainvilliers, Epaignes, Boulleville, Les Préaux et Norville. D’ailleurs, une rafale de 136 km/h est enregistrée à Boulleville (département de l’Eure). Cependant, cela n’est qu’une mise en garde qui démontre tout le potentiel dans lequel baignent les orages du jour.
Effectivement, c’est réellement la supercellule bien identifiable sur l’est de la Normandie qui tire le plus profit des conditions atmosphériques alors en place, en se nourrissant notamment du flux en basses couches établi de sud-est à sud. Sur les images radar, la structure est particulièrement aboutie vers 16h00, avec un écho en crochet bien identifiable autour du mésocyclone, typique des supercellules.
Image radar des précipitations à 16h00 le 23 octobre 2022 sur l’est de la Normandie (France).
La localisation de la supercellule est indiquée par une flèche. Source: Meteo France via Meteociel
Cette supercellule provoque également des dégâts sur son passage, par de fortes rafales de vent, notamment à Le Hamel (au sud de L’Aigle), Gaillon, Muids et la Neuve Grange (au sud-est et à l’est de Rouen) où des toitures sont endommagées et des arbres abattus. En outre, des chutes de grêle sont également signalées à son passage, avec des grêlons de 2 à 3 centimètres. À la suite d’une enquête de terrain menée par l’organisme Keraunos, il s’avère qu’une tornade a également sévi à Muids, sur un parcours d’environ 13 kilomètres.
Par après, alors que la supercellule passe à l’est de Rouen en causant les dégâts mentionnés ci-dessus, d’autres noyaux orageux s’alignent au nord-ouest de celle-ci, qui semble connaître une phase de restructuration. L’ensemble forme un axe qui se prolonge jusqu’au sud-ouest de l’Angleterre.
Parmi ces nouveaux noyaux, l’un d’entre eux passe juste au nord-est de Rouen aux alentours de 16h30, et semblerait, d’après sa trajectoire, être animé d’une rotation anticyclonique. De plus, ce dernier engendre des chutes de grêlons qui atteignent jusque 6 cm de diamètre par endroits, comme par exemple à Morgny-la-Pommeraie dans le département de la Seine Maritime. Cependant, cet orage ne perdure guère dans le temps et s’effondre rapidement.
Par après, la supercellule principale passe à l’ouest de Beauvais vers 17h00. Elle continue de causer des dommages, notamment à Ferrières-en-Bray dans le département de la Seine Maritime, où des toitures sont sévèrement endommagées. Par ailleurs, les enquêtes de terrain menées conjointement par l’organisme Keraunos et Gwenaël Milcarek ont démontré la survenue d’une deuxième tornade dans cette localité, juste au moment où l’orage semble prendre de l’ampleur en devenant réellement massif et en présentant les traits d’une supercellule HP bien organisée (High-Precipitation, soit une variété de supercellule caractérisée par un noyau de précipitation massif, et un mésocyclone localisé sur le flanc est de ce noyau). Ainsi, au nord-ouest de Beauvais, la tornade, qui semble perdurer, est signalée à Songeons dans le département de l’Oise et quelques instants plus tard, la localité de Gaudechart semble être frappée également par le même phénomène. En outre, des inondations sont signalées à Feuquières, légèrement plus à l’ouest.
En entrant sur le département de la Somme vers 17h30, l’orage principal prend encore davantage de vigueur. Un violent phénomène venteux est signalé à Equennes-Eramecourt dans le département de la Somme et, peu après, d’importants dommages sont aussi observés sur la commune de Conty, au sud d’Amiens, également dans le département de la Somme, où la tornade semble encore sévir en arrachant des toitures et en balayant de nombreux arbres. Par après, les dégâts sont beaucoup plus faibles et dispersés, ce qui montrerait une dissipation temporaire du phénomène et/ou la survenue, en aval, d’une succession de plusieurs brefs tourbillons de faible intensité. Ainsi, la tornade aurait parcouru environ 45 kilomètres, de Ferrières-en-Bray jusqu’un peu après Conty. Moins d’un quart d’heure plus tard, l’orage frappe violemment l’agglomération d’Amiens et sa périphérie, en causant de nombreuses chutes d’arbres et des chutes de grêlons qui atteignent 6 à 7 cm de diamètre.
En parallèle, le sud de l’Angleterre est également traversé par l’axe orageux. À ce moment, deux tornades sont observées, l’une à New Milton et l’autre à Hensting (près de Southampton). De nombreux dommages sont signalés, avec des toitures envolées, des véhicules détruits et des arbres abattus. Le niveau d’intensité F1 semble être retenu. En outre, d’autres phénomènes venteux se produisent, avec d’autres dégâts à la clef. L’un ou l’autre tourbillon supplémentaire n’est pas à exclure, comme à Up Sombourne (à l’ouest de Winchester). Ainsi, nous avons à faire à un véritable ‘tornado outbreak’ (série de tornades multiples sur une superficie relativement restreinte) en ce 23 octobre 2022.
Un paroxysme orageux atteint sur l’est du Pas-de-Calais
Passé Amiens, la cellule maintient toujours une organisation poussée. Il semblerait par ailleurs qu’une nouvelle tornade (ce qui en ferait la troisième sous cet orage) se forme dans la région de Querrieu et Fréchencourt, soit sur une distance approximative de 11 kilomètres, selon des indices de convergence laissés par les dégâts. Mais, elle est d’intensité faible et ne garde probablement pas un contact permanent avec le sol.
D’ailleurs, entre Béhencourt (juste après Fréchencourt) et la limite du département du Pas-de-Calais, sur une distance d’une trentaine de kilomètres, les dommages semblent très faibles et ponctuels, voire inexistants sur certaines portions. Même si d’autres enquêtes montrent des signes de convergence et parlent de tornade, il n’y a pas, selon nous, suffisamment de certitudes pour pouvoir affirmer la continuité du phénomène au sol sur cette région. Ceci n’exclut pas, à nouveau, la possibilité de tourbillons temporaires.
En outre, la supercellule est suivie par d’autres orages proches qui interagissent avec elle, tandis qu’au nord-ouest, les autres foyers continuent de l’accompagner depuis la Normandie, en adoptant eux aussi, par phases, un comportement supercellulaire au sein de l’axe convectif qui s’étend toujours vers l’Angleterre, en concernant la région de Londres. Par ailleurs, on y observe toujours de fortes rafales de vent, qui causent des dommages localement. On suspecte même qu’une tornade ait pu sévir à Addington ou encore à Welling, au sud de l’agglomération.
Cependant, l’intensité de tous ces foyers reste en-deçà de l’activité de la supercellule principale. En entrant sur l’est du département du Pas-de-Calais peu après 18h00, celle-ci atteint vraisemblablement l’apogée de sa puissance. Le mésocyclone durable en son sein produit alors une forte tornade (la quatrième sous cet orage, semblerait-il). Celle-ci semble toucher le sol à partir de la commune d’Irles. Cette tornade est observée et filmée par plusieurs témoins, notamment à Bihucourt (au sud d’Arras) où de sévères dégâts montreraient la survenue d’une tornade d’intensité F2/F3. Les dommages tornadiques semblent concerner un couloir d’environ 30 km de longueur, partant d’Irles jusqu’à Écourt-Saint-Quentin.
Par la suite, les dommages deviennent à nouveau très légers et ponctuels, dénotant le passage d’un ou de plusieurs vortex ne touchant probablement le sol que très ponctuellement.
Supercellule transitant sur l’est du département du Pas-de-Calais avec une tornade en cours,
visible à côté de l’éolienne la plus à droite. Crédit photo: Rick Bekker
Image radar des précipitations à 18h10, le 23 octobre 2022 vers le nord-ouest de la France.
La localisation de la supercellule tornadique est indiquée par une flèche. Source: Meteo France via Meteociel
Une fois la région d’Arras atteinte, peu après les très importants dégâts perpétrés dans l’est du Pas-de-Calais, il se produit un affaiblissement de l’activité électrique de l’orage, jusque là très intense, mais aussi une réorganisation de sa structure qui prend un aspect davantage multicellulaire.
Toutefois, la rotation imprimée par le mésocyclone à la cellule originelle entière demeure facilement identifiable, et celle-ci est toujours capable de produire une tornade, bien qu’un contact permanent avec le sol sur une longue distance semble être exclu. Observé de près ou de loin, l’orage reste en effet nourri par une colonne ascendante massive, tandis que son épaisse enclume se pare de nombreux mammatus, signes d’un orage puissant et bien organisé, aux allures toujours supercellulaires.
Il se montre, par ailleurs, toujours violent localement. Ainsi, une nouvelle tornade frappe Arleux dans le département du Nord. Celle-ci semble sévir durablement jusqu’à Masny, soit sur une quinzaine de kilomètres (possiblement la cinquième tornade produite sous cet orage).
Par après, un contact permanent avec le sol ne semble plus se produire. Cependant, des dommages possiblement tornadiques sont aussi observés à Warlaing (au sud-ouest de Saint-Amand-les-Eaux dans le département du Nord), où de nombreuses toitures et des arbres sont fortement endommagés. On retrouve aussi des dégâts ponctuels de phénomènes tourbillonnaires, mais sans grande sévérité, notamment du côté de Marchiennes ou de Thun-Saint-Amand. C’est d’ailleurs à partir de cette zone que notre équipe a pu enquêter.
Ces enquêtes menées dans la région frontalière montrent également qu’une partie des dégâts sont dus à plusieurs vortex successifs agissant de concert avec des rafales descendantes sur le secteur de Mortagne et de Flines (département du Nord) où la limite entre F1 et F2 (T3-T4) semble avoir été approchée. Ainsi, il est probable que le mésocyclone, bien alimenté et dont la base circule près du sol, produit de temps à autre un tuba qui touche terre de façon (très) temporaire.
Supercellule principale encore en France et observée ici depuis Beloeil en province de Hainaut aux alentours de 18h50,
au moment où une tornade frappe Warlaing.
Un essoufflement et une hybridation progressifs en Belgique
Aux alentours de 19h00, l’orage entre alors en Belgique au sud de Tournai, en concernant également la région d’Antoing et de Péruwelz. À ce moment, la composante multicellulaire continue de s’affirmer et la structure supercellulaire est au contraire de moins en moins identifiable sur les images radars. Toutefois, la présence du mésocyclone qui induit la rotation de l’orage est toujours bien nette, avec une zone de faible réflectivité le signalant, liée au refoulement en altitude des précipitations (BWER ou Bounded Weak Echo Region en anglais). L’orage continue, par ailleurs, de produire des phénomènes violents, notamment sur les villages de Brasmenil, Braffe et de Willaupuis où de nombreux arbres sont arrachés et des toitures endommagées. Cela démontre que, bien qu’essoufflé et présentant une activité électrique plus modeste, le système est encore suffisamment vigoureux pour générer de forts phénomènes venteux. On notera que de nombreux éclairs internuageux sont observés juste à l’avant du noyau dur.
Éclair internuageux dans la région de Lille (département du Nord) le 23 octobre 2022. Crédit photo : Cieux Instables
Plusieurs membres de notre collectif sont par ailleurs présents dans la région pour intercepter la cellule à son passage. Cette dernière montre encore visuellement des caractéristiques supercellulaires, avec, par exemple, un fort flux entrant et un arcus mésocyclonique. Via les observations du comportement du vent faites en temps réel à proximité de l’orage en transit, il est incontestable que le mésocyclone demeure toujours bien actif en son sein. De plus, l’un de nos membres a essuyé, près de Willaupuis, de très fortes rafales, similaires au passage d’un RFD (Rear Flank Downdraft en anglais soit un fort courant descendant à l’arrière d’un orage supercellulaire). Le récit du passage de l’orage peut être trouvé à l’adresse suivante: Il était une fois dans l’Ouest. Une vidéo est aussi disponible via le lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=OeKCCPcA2SY
Arrivée de l’orage sur Willaupuis, en province de Hainaut, le 23 octobre 2022.
Sur les villages même de Brasmenil, Willaupuis ainsi qu’à Braffe, il est fort probable que les vents aient été bien plus forts. Une enquête de terrain a permis de mettre en évidence la survenue d’une rafale descendante accompagnée d’une tornade (ou plusieurs successives) qui n’exerce que ponctuellement une action au sol. En effet, plusieurs zones de dommages depuis la frontière sembleraient montrer que, par moments, un tourbillon ait été actif. C’est notamment le cas dans un secteur boisé juste à l’est de Callenelle où de nombreux dégâts convergents montrent clairement le passage d’une tornade, accompagnée sur sa droite par une rafale descendante. À cet endroit, un niveau d’intensité T3 voire possiblement T4 semble avoir été atteint, attestant de la survenue d’une tornade en haut de l’échelon F1, voire ponctuellement F2. À Willaupuis ainsi qu’à l’entrée de Leuze, et bien que cette composante soit moins prononcée, un tourbillon semble également avoir agi de concert avec une rafale descendante vraisemblablement associée au RFD. L’intensité semble y avoir été un peu plus faible (F1-T2).
Toutefois, les dégâts convergents typiques des tornades sont clairement discontinus et s’observent ainsi par zones, renforçant la thèse d’un fort mésocyclone qui n’exerce que par à-coups une réelle influence au sol par le déploiement de tourbillons ponctuels, et ce déjà avant de franchir la frontière belge, tandis que la ou les rafale(s) descendante(s) liée(s) au RFD sont davantage persistantes.
Après le sud de Leuze-en-Hainaut touché, les dommages se raréfient, mais ne disparaissent pas complètement, car, ponctuellement, l’un ou l’autre dégât épars est encore porté à la végétation sur un axe rectiligne, probablement liés au RFD (nous y reviendrons plus loin).
Passage de l’orage du 23 octobre 2022 depuis la région d’Antoing en province de Hainaut.
En parallèle, un deuxième orage entre également en Belgique aux alentours de 19h00 par Hazebrouck pour se diriger vers Dixmude, en engendrant des chutes de grêlons de 2 à 3 cm de diamètre, notamment à Gijverinkhove et Sint-Rijkers en province de Flandre Occidentale. Ce dernier, bien que moins actif (sauf au niveau électrique), s’est réellement développé après 18h00 au nord d’Abbeville. Bien que possible, l’évolution supercellulaire est ici moins identifiable, et les images radars sont moins nettes car cet orage se trouve à l’arrière d’autres par rapport aux radars mêmes. Enfin, il finit par se disloquer aux alentours de 19h30 entre Ostende et Kortemark, en évoluant en système multicellulaire.
Image radar des précipitations à 19h00, le 23 octobre 2022, illustrant la position du mésocyclone de la cellule principale (1)
ainsi qu’un deuxième orage très actif électriquement (2). Source: Meteo France via Meteociel
Par la suite, l’orage principal (accompagné par les autres dans ses parages) poursuit sa progression en Belgique, en continuant d’engendrer des dégâts localisés. À Chapelle-à-Wattines, des dommages très ponctuels mais caractéristiques montreraient la survenue, une fois encore, d’un tourbillon très temporaire. Pourtant, le caractère hybride de l’ensemble orageux est alors bien affirmé. Toutefois, des signes de rotation apparaissent encore sur les imageries radar, notamment juste au sud de Lessines vers 19h30. D’ailleurs, ce sursaut d’activité semble correspondre avec la survenue d’un nouveau phénomène violent qui provoque des dégâts à la végétation et à certaines toitures dans le secteur de Rebaix et d’Ollignies.
À Rebaix, les enquêtes de terrain semblent identifier la survenue d’une tornade très brève et restreinte (couloir de 200 mètres de longueur sur 50 mètres de largeur) tandis que, plus au sud, sur le centre du village, les dégâts sembleraient être consécutifs au RFD. Sur la place, un évènement se tenait au passage du phénomène. Les témoins décrivent l’arrivée de l’orage de façon brutale, avec une base noire évoluant à basse altitude, sous laquelle pendait très bas en-dessous une forme « semblable à un marshmallow’ selon leurs dires. Plusieurs véhicules ont alors été endommagés par la chute de grosses branches, notamment un food-truck. Par chance, aucun blessé n’est à déplorer.
Arrivée de l’orage sur la région de Chièvres en province de Hainaut, le 23 octobre 2022. Il semblerait que le nuage mur
soit visible, au moment où il circule vers Ligne, à environ 7 kilomètres de là.
Ensuite, une station amateur enregistre une rafale à 106,4 km/h à Ollignies de secteur ouest-sud-ouest à 19h39, au sud de Lessines, où de nombreux dégâts sont aussi observés sur les habitations et la végétation. Le propriétaire de la station et membre de Belgorage, nous livre son témoignage : « Alors que je suis positionné à l’arrière de mon habitation pour capturer la foudre, un fort bruit (qui pourrait s’apparenter à un bruit de train arrivant à toute vitesse) se fait entendre au sud-ouest de ma position. Ce bruit est tellement inhabituel et surprenant que je stresse d’un coup, et je veux vite rebrousser chemin en urgence pour rentrer dans la maison, en faisant le tour de cette dernière. Seulement, en quelques secondes, de brusques rafales de vents violentes s’abattent et emportent, durant maximum 1 minute je dirais, branches, objets divers, tuiles et arbres de petites tailles autour de moi. Celles-ci étant tellement violentes qu’il m’est impossible de continuer alors que je me suis mis à l’abri contre un pignon de la maison. Mais, je ne suis pas vraiment protégé car des branches et la pluie me tombent tout de même dessus. Je veux tenir mon matériel pour immortaliser l’instant, mais c’est très difficile tellement le vent est violent. Puis, en un coup, tout se calme. Cet événement restera gravé dans ma mémoire pour sa violence inattendue. »
Ici aussi, la présence de dégâts convergents isolés ainsi que des indices d’aspiration indiqueraient la survenue d’une tornade d’intensité faible à modérée, qui n’exerce une attraction au sol que de façon ponctuelle (intensité maximale généralement F1-T2), agissant de concert avec de fortes rafales de vent liées au RFD (rafales descendantes). Enfin, après la frontière linguistique, plus aucun dommage conséquent n’est signalé.
Peupliers brisés ou fortement endommagés par un tourbillon à Ollignies, en province de Hainaut, le 23 octobre 2022.
Mais derrière, un autre orage entre en Belgique par la région comprise entre Péruwelz et Bernissart aux alentours de 19h30. Il correspond, à ce moment là, à la cellule la plus au sud du groupe, mais elle ne provoque pas de phénomènes particuliers. En effet, aucun dégât n’est signalé sur sa trajectoire (Bernissart – Beloeil – Silly – Enghien).
Par la suite, l’essoufflement de l’orage principal se poursuit et devient définitif au nord de Bruxelles, où cette imposante cellule (qui avait entre-temps perdu sa proéminence au sein du système de type LEWP) existant depuis plus de quatre heures et demi finit par se dissiper vers 20h00, après avoir causé quelques dégâts des eaux en périphérie de la capitale. Ainsi, les derniers dégâts sérieux engendrés par l’orage auront été observés près de Lessines, ce qui aura laissé un alignement de dommages impressionnant, qui court depuis l’est de la Normandie jusqu’à la Belgique, soit sur environ 350 kilomètres ! Ces dommages ont été très complexes à étudier, car ils ont été produits par des phénomènes différents, et parfois imbriqués, ce qui a demandé des études de terrain approfondies afin de les départager.
En outre, les autres cellules sont également marquées par un affaiblissement progressif après avoir, pour certaines, été assez fortes sur les deux Flandres, le tout finissant par s’évacuer sur les Pays-Bas en milieu de soirée autour de 21h00, en perdant tout caractère violent.
Image radar des précipitations à 19h35, le 23 octobre 2022. La position du mésocyclone est toujours
visible et indiqué par la flèche. Source: Meteo France via Meteociel.
Synthèse d’une succession complexe de divers phénomènes venteux
Ainsi, sur une zone s’étirant de la vallée de la Seine à Thun-Saint-Amand dans le département du Nord, nous hypothétisons le déroulement suivant :
- Une première tornade d’intensité estimée au niveau F1 dans la région de Muids et parcourant environ 13 km.
- Une seconde tornade à long trajet d’intensité estimée au niveau F2 entre Ferrières-en-Bray et la région de Conty, sur une distance d’environ 45 km.
- Une troisième tornade d’intensité estimée au niveau F1 dans les régions de Querrieu et Fréchencourt, sur une distance approximative de 11 kilomètres.
- Une quatrième tornade d’intensité estimée au niveau F2-F3 entre Irles et Écourt-Saint-Quentin, sur environ 30 km, et concernant Bihucourt.
- Une cinquième tornade d’intensité estimée au niveau F2 entre Arleux et Masny, sur une distance approximative de 15 km.
Précisons encore une fois que nous n’avons pu nous rendre sur place, et que ces différentes tornades ont pu parcourir des distances plus importantes (ou moindre, s’il s’agit de deux tourbillons distincts mais successifs). Cependant, les zones séparant ces tornades ne comptant que des dommages très légers et ponctuels, elles ne nous permettent pas de certifier quoi que ce soit, bien que l’on ne puisse y exclure la survenue d’un ou plusieurs bref(s) tourbillon(s) de faible intensité.
À partir de Thun-Saint-Amand cependant, les enquêtes de terrain menées par notre équipe ont pu mettre en évidence le développement de plusieurs vortex successifs entre Thun-Saint-Amand et Bois-de-Lessines, mais aussi la survenue de plusieurs zones impactées par des rafales descendantes parfois intenses. Les vortex produisent des dommages parfois importants également, mais sur des courtes distances. Dès lors, il nous semble compliqué de déterminer sur cette zone, au vu du comportement assez anarchique des tourbillons, le nombre réel de tornades qui se sont produites, ainsi que les distances parcourues par chacun d’entre eux.
Enfin, une étude plus détaillée que celle disponible dans le chapitre ci-dessous sera publiée ultérieurement dans un dossier. Néanmoins, deux secteurs sont identifiables, dans lesquels deux séries de tourbillons se sont succédées :
- Entre Thun-Saint-Amand (France) et Vieux Leuze (province de Hainaut), soit sur environ 15 kilomètres, avec une intensité maximale estimée à la limite entre F1-T3 et F2-T4.
- Entre Rebaix et Bois de Lessines (province de Hainaut), soit sur environ 10 kilomètres, avec une intensité maximale estimée au niveau F1-T2.
D’autres orages moins intenses plus à l’est
Pour être complets, signalons aussi que quelques orages faibles à modérés et apparus au nord-est de Paris en fin d’après-midi, ont aussi concerné la province de Namur et le nord-ouest de celle de Liège en première partie de soirée. Ils entrent en Belgique par la Botte du Hainaut à 20h00 en se déplaçant assez rapidement, pour circuler en vallée de la Meuse aux alentours de 21h00 à Andenne, et en finissant par se dissiper vers 21h45 après avoir touché Maastricht (Pays-Bas). Ils ont présenté une activité électrique intéressante, mais aucun autre caractère particulier n’en ressort.
Enfin, il est à noter qu’en fin d’après-midi, des orages se sont également développés sur le nord-est de la France, formant un axe convectif qui s’est prolongé pour toucher le sud de la province de Luxembourg à partir de 16h00. Les cellules se sont ensuite intensifiées et structurées en une ligne d’orages multicellulaires entre Libramont et Virton, pour se décaler en direction du nord-est. La région de Bastogne est concernée par une cellule assez soutenue autour de 17h15, toutefois ces foyers semblent avoir été moins intenses et n’ont pas provoqué de dégâts. Néanmoins, ces orages sont tout de même bien actifs pour la saison. Cet axe orageux transite, par après, sur nos frontières de l’est, pour toucher Saint-Vith peu avant 18h00, et finit par nous quitter au profit de l’Allemagne. Entre-temps, un autre orage concerne la Gaume (notamment Virton et Arlon) pour concerner le Grand-Duché de Luxembourg à la même heure.
Coups de foudre détectés lors de la journée du 23 octobre 2022 en Belgique et aux alentours. Source : Lightningmaps
Ainsi, ceci met un terme à cette offensive orageuse exceptionnelle pour une fin octobre, et ce fut sans aucun doute la plus violente pour cette période de l’année depuis la création de Belgorage. Des orages de bonne facture au cours du dixième mois de l’année ne sont pas rares, citons, par exemple, le 5 octobre 2020, le 14 octobre 2019 ainsi que les 20 et 22 octobre 2013, mais force est de constater que le présent épisode les surclasse par sa violence et son étendue.
Pour terminer, nous dirons que les conditions instables perdurent en cette fin octobre 2022 et une nouvelle bouffée d’instabilité remonte en direction de notre pays dès le lendemain, 24 octobre 2022, où d’autres orages aux caractéristiques remarquables touchent la Belgique (un article à part leur est consacré).
Analyses des dégâts observés entre Thun-Saint-Amand et Lessines
- Entre Thun et la frontière franco-belge.
La carte ci-dessous reprend les dégâts observés sur ce secteur. Le couloir général est représenté en couleur claire. Les dégâts y sont très limités (F0- T0). Ceux-ci sont tellement faibles qu’il est impossible de certifier l’origine du ou des phénomène(s). Les couleurs plus vives indiquent des dommages un peu plus importants (F0 – T1). Les couleurs très vives représentent, quant à elles, des dommages nettement plus significatifs (F1-T2 ou T3).
Carte reprenant les différents dégâts observés sur le secteur de Mortagne-du-Nord. Source : Google Earth
Les premiers dommages significatifs sont observés à la cité du Maroc, à Thun-Saint-Amand (1). Sur cette zone, le passage d’une tornade ne fait aucun doute. D’intensité maximale estimée au niveau F1-T3, elle provoque des dommages assez importants aux toitures et à la végétation. Ces dommages deviennent cependant très rapidement ponctuels et ne permettent déjà plus de certifier que le vortex touche encore le sol aux abords de la Scarpe. Ce n’est qu’au-delà de la Scarpe qu’un nouveau contact du vortex avec le sol est observé (2).
Sur le flanc sud du passage de la tornade, nous observons des dégâts importants dus très probablement à des accélérations du RFD.
Très rapidement, par la suite, les dommages deviennent quasiment inexistants entre l’Escaut et le bois des Poteries, ne permettant plus d’assurer qu’un contact du tourbillon avec le sol soit certain. Seuls quelques arbustes sont endommagés, et quelques tuiles de maisons enlevées.
Près du camping des Poteries, un nouveau contact bref du tourbillon avec le sol est cependant observé. Ce contact avec le sol est ici aussi temporaire et, plus loin, tant à Légies qu’à Rouillon (3), les dommages sont ponctuels et dispersés.
Cela nous amène à penser que plusieurs vortex de courte durée se sont développés sous le mésocyclone. Des accélérations du RFD sont également visibles. On observe ainsi le passage de tornades de faible intensité à plusieurs endroits, sans pour autant parler d’une tornade unique.
Nous avons effectué pour chaque portion des dégâts des analyses poussées. D’innombrables heures passées sur le terrain ont été nécessaires afin de mettre en avant les subtilités des dommages observés.
Voici par exemple le cas d’une zone située entre la Scarpe et l’Escaut.
Exemple des cartes détaillées qui seront publiées dans le futur dossier consacré à cet épisode. Fond de carte : Google Earth
Les couleurs jaunes (celles plus marquées) représentent des dégâts convergents et les couleurs bleues, des dégâts divergents. L’intensité de chaque parcelle a été ajoutée sur l’échelle de Torro. Les pointillés jaunes représentent le passage de vortex tandis que les pointillées bleus représentent le passage de rafales descendantes dues à des accélérations du RFD.
À noter que toutes les analyses détaillées faites entre Mortagne et Bois-de-Lessines seront apportées dans le prochain dossier consacré à cet épisode.
- Entre la frontière franco-belge et Braffe
Carte reprenant les différents dégâts observés sur le secteur de Callenelle. Source : Google Earth
Passé la frontière, les dommages deviennent significatifs (1). Entre le canal et Callenelle, nous avons à nouveau des dommages provoqués conjointement par le contact ponctuel de vortex au sol et d’accélérations du RFD.
Les dommages deviennent plus importants sur un bois situé à l’est de Callenelle (2). Ainsi, une tornade de plus forte intensité y provoque des dégâts importants aux arbres, tandis qu’une puissante rafale descendante provoque également d’importants dommages à la végétation, et ce, dans un couloir légèrement décalé plus au sud de celui de la tornade. Le niveau F2-T4 semble être atteint très localement, avec un niveau plus général F1-T3.
Dégâts consécutifs au passage d’une tornade dans le bois de Callenelle le 23 octobre 2022.
Très rapidement, les dommages redeviennent à nouveau ponctuels en arrivant sur Brasmenil, et là encore, on retrouve conjointement des dommages de vortex de courte durée de vie et de rafales de vent dû à des accélérations du RFD (3). Ces observations se poursuivent aux abords de l’autoroute ainsi que dans des bois situés à Braffe. Notons cependant que, ponctuellement, les dommages deviennent plus prononcés un peu plus au nord. (4). Par exemple, sur des habitations situées à la rue du Gros Tilleul, l’intensité d’une tornade est estimée à F1-T3 (5).
- Entre Braffe et Vieux-Leuze
Carte reprenant les différents dégâts observés sur le secteur de Braffe-Willaupuis. Source : Google Earth
Arrivé sur la région de Braffe-Willaupuis, le couloir des dommages s’élargit, bien qu’en son sein, on retrouve d’innombrables zones totalement intactes. Rappelons que le mésocyclone qui survole la région n’apporte que des dégâts ponctuels. Il n’est à nouveau pas question du passage d’une tornade unique et stable.
Au nord de Braffe (1), des dommages sont observés principalement à des toitures. Une convergence de ceux-ci fait état du passage d’un nouveau vortex. Nous disons nouveau, car entre la rue du Gros Tilleul et la chaussée de Tournai, aucun dommage n’a été observé.
Lorsque le mésocyclone survole le village de Willaupuis (2), les dégâts deviennent plus importants (F1-T2). Mais, à nouveau, nous observons de nombreuses zones totalement intactes au sein même du couloir, ce qui dénote la survenue de plusieurs phénomènes successifs, et non un seul. Certains dommages observés sur le village montrent le passage d’un énième tourbillon. Mais légèrement plus au sud, ce sont bien des dégâts divergents provoqués par des accélérations du RFD qui sont visibles. D’ailleurs, un de nos membres était situé à la rue du Faubourg, au sud de Willaupuis. Il décrit très clairement une accélération intense du vent au passage du RFD sur cette zone.
Dégâts consécutifs au passage d’une tornade à Willaupuis le 23 octobre 2022.
Par la suite, différents vortex semblent se succéder au nord-est du village, ainsi que le long du Ravel de Vieux-Leuze (3). Les dommages sont cependant très limités (F0-T1).
Les dégâts provoqués par le RFD sont par ailleurs visibles sur la N60 et surtout au chemin de Malametz à Vieux-Leuze (4). Les différents témoins décrivent un phénomène puissant et linéaire, durant plusieurs minutes.
Passé Vieux-Leuze, le mésocyclone se déstructure. Il est probable qu’une occlusion de ce dernier s’opère. Ainsi, un nouveau semble prendre le relais à son sud. C’est ce dernier qui va provoquer des dégâts plus significatifs sur la région de Lessines quelques temps après.
- Entre Vieux-Leuze et Ligne
Carte reprenant les différents dégâts observés sur le secteur de Ligne. Source: Google Earth
Passé Vieux-Leuze, les dommages deviennent quasiment inexistants, sauf à Leuze au niveau du zoning (1). Les dommages divergents dénotent une intensification du RFD, probablement liée à une restructuration du mésocyclone.
Nous retrouvons également des dommages significatifs à Chapelle-à-Wattines, dans un bois (2), ainsi que très ponctuellement à Ligne (3) en étant plus légers.
Tous ces dommages sont plus que probablement liés au RFD. Plus aucune trace de convergence n’est visible sur toute cette zone, en-dehors de Chappelle-à-Wattines, possiblement et de manière très ponctuelle.
- Entre Ligne et Ollignies
Sur cette zone, les dommages redeviennent plus conséquents, bien que restant localisés et ponctuels. À Rebaix, dans une prairie bordée d’arbres (1), sur une distance de 200 mètres et sur 50 mètres de large, nous avons des dégâts clairement convergents, propres au passage d’un tourbillon de faible intensité (F0 – T1). Ensuite, une fois encore, dans un autre couloir légèrement décalé plus au sud, on note la présence d’autres dommages sur le centre du village, qui consistent essentiellement en des des branches d’arbres arrachées et des tuiles déplacées. À cet endroit (2), le vent semble avoir été linéaire et associé au RFD. Après le village, quelques dégâts apparaissent encore ponctuellement sur la végétation au nord de Izières (3), sans qu’aucune trace de convergence ne puisse être identifiée.
Carte reprenant les différents dégâts observés sur le secteur de Rebaix. Source : Google Earth
- Entre Ollignies et Bois-de-Lessines
Plus aucun dégât significatif n’est visible entre Izières et Ollignies. Ensuite, sur ce dernier village, on retrouve des dommages conjointement convergents sur le flanc nord du couloir (1, 3 et 4), et des dégâts plutôt divergents sur le flanc sud (2 et 5). Ainsi, on peut penser qu’une faible tornade se soit faite accompagnée d’une (ou plusieurs) rafale(s) descendante(s), entre Ollignies et Bois de Lessines. Il semblerait même que deux tourbillons différents se soient formés, ne touchant que ponctuellement le sol. L’intensité maximale est estimée au niveau F1-T2. Après Bois-de-Lessines, près de la frontière avec la région flamande, les dégâts deviennent rapidement disparates. Enfin, en Flandre, plus aucun dommage significatif n’est relevé.
Carte reprenant les différents dégâts observés sur le secteur d’Ollignies. Source : Google Earth
Discussion et éléments écartant l’hypothèse d’une tornade unique
Dans les semaines qui suivirent la survenue de cette supercellule hors du commun et les nombreux dégâts observés, plusieurs organismes et enquêteurs de terrain mettaient en avant la possibilité d’avoir eu le passage d’une seule tornade ayant parcouru plus de 200 km. Comme nous l’avons déjà vu dans la partie consacrée aux analyses menées par notre équipe entre Thun-Saint-Amand et Bois-de-Lesssines, nous avons exclu le passage d’un seul phénomène sur ce tronçon parcouru par la supercellule. En revanche, en amont de ce tronçon, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses.
Cependant, la présence dans la région de Bapaume d’une équipe hollandaise lors de la survenue de l’orage et comprenant Rick Bekker, Roland Dekker et Remco Blom permet d’analyser minutieusement le comportement de la supercellule et son évolution dans cette région. Les chasseurs composant cette équipe ne sont pas néophytes en matière de traques. En effet, ces différents membres ont l’habitude de parcourir de grandes distances pour observer les orages. Leur expérience et leur sérieux sont à prendre en considération.
Précisons que nous les avons contactés et que des échanges fructueux avec eux ont été indispensables pour pouvoir effectuer des analyses détaillées. Nous les remercions d’ailleurs vivement. Voici leurs témoignages qui reflètent parfaitement notre point de vue :
« Nous pensons que la tornade s’est développée quelques minutes avant de se déplacer vers Bihucourt. Nous étions parfaitement placés pour voir se former un nouveau nuage mur sous lequel la tornade s’est développée ».
L’équipe néerlandaise était située juste au sud de Bapaume, à quelques kilomètres du passage de la tornade de Bihucourt:
Localisation de l’équipe néerlandaise dans la région de Bapaume.
Vers 18h00, l’équipe néerlandaise observe l’arrivée de l’orage sur leur secteur. Selon eux, rien de particulier ne se dégageait de cet orage à ce moment-là. Depuis leur point d’observation, le mésocyclone alors actif est plutôt engoncé dans les précipitations, ce que confirment les images radar de cette heure.
Approche de l’orage vers 18h00. Crédit photo: Rick Bekker et al.
Pourtant, au même moment, une tornade sévissait déjà dans la région de Querrieu, à une bonne vingtaine de kilomètres de l’équipe, tandis que quelques instants auparavant, de violentes rafales descendantes provoquaient d’importants dégâts dans la région d’Amiens.
Le parc Saint-Pierre d’Amiens a subi le passage d’une puissante rafale descendante. Source de l’image : Le journal « Le Courrier Picard »
Les dégâts sont cependant devenus, par après, très limités, voire quasiment inexistants au passage de cet orage sur un large secteur s’étirant de Béhencourt et Miraumont, en amont donc de Bihucourt.
On peut donc supposer que les précipitations intenses issues du RFD ont provisoirement amené un affaiblissement ou une occlusion du mésocyclone, et donc une rétractation de la tornade associée, bien que la rotation dudit mésocyclone induise la possibilité d’avoir le développement de quelques vortex provoquant des dégâts légers.
L’image radar au même moment dénote justement une supercellule HP dont la zone de rotation est enveloppée en grande partie de précipitations (cercle blanc).
Image radar des précipitations à 18h00, le 23 octobre 2022. Source de l’image : Météociel
Quatorze minutes plus tard, l’équipe néerlandaise aperçoit le développement rapide à droite du nuage mur (1), d’un nouveau nuage mur (2), tous deux situés sous la base du mésocyclone. Comme le précisait l’équipe néerlandaise, c’est sous cette nouvelle base que la tornade de Bihucourt va se développer (2), et non sous l’ancienne base (1).
Formation d’un nouveau mésocyclone peu avant Bihucourt. Crédit photo: Rick Bekker et al.
Ainsi, on peut d’ores et déjà en déduire que, au vu des dires des traqueurs et de leurs images, la tornade de Bihucourt ne peut pas être un prolongement du même tourbillon qui a concerné, quelques temps plus tôt, Querrieu.
Alors que le nouveau nuage mur est déjà complètement formé, un tuba se dessine sous sa base. La vitesse à laquelle tout cela évolue va surprendre les traqueurs.
Champ de vision de l’équipe néerlandaise sur l’orage.
La carte ci-dessus reprend la position des traqueurs (petit bonhomme blanc), le passage du nuage mur sur la région (cercle blanc) et des éoliennes qui nous permettent de définir l’angle de prise de vue des traqueurs (triangles bleus).
À ce moment-là, le tuba touche peut-être déjà le sol dans la région de Irles. En effet, quelques dommages légers sont signalés sur cette zone. Mais c’est réellement plus loin que des dommages bien plus importants sont observés.
À 18h18, un power flash illumine la structure indiquant que le vortex touche le sol.
On constate que le tourbillon général est très probablement constitué de plusieurs vortex. Tout s’est donc rapidement intensifié. Ceci explique sans doute pourquoi en l’espace de quelques kilomètres, les dommages très légers deviennent beaucoup plus importants. Par malchance pour les habitants de Bihucourt, la tornade qui venait de toucher le sol quelques minutes auparavant s’intensifie considérablement juste avant d’arriver sur le village.
Arrivée de la tornade sur Bihucourt. Crédit photo: Rick Bekker et al.
Champ de vision de l’équipe néerlandaise sur l’orage.
Concernant le power flash et en reprenant cette carte ; on a justement une éolienne qui se situe dans l’angle de vue des traqueurs hollandais. Ainsi, la tornade a bien pu toucher cette éolienne. Cela reste cependant une hypothèse.
Toujours est-il que la tornade se structure très rapidement en progressant vers Bihucourt, qu’elle touche quelques instants plus tard à pleine puissance. Cela peut paraître surprenant de voir une tornade s’intensifiant aussi rapidement, mais cela a déjà été observé de nombreuses fois aux États-Unis.
À 18h19, le RFD s’enroule très rapidement autour de la tornade, obscurcissant la vue des traqueurs. Au cours de ces derniers aperçus, un nuage de débris semble être visible sous la tornade. C’est à ce moment-là que la tornade provoque ses dommages importants à Bihucourt. On constate aussi que le RFD est très proche du vortex.
Passage de la tornade sur Bihucourt. Crédit photo: Rick Bekker et al.
Champ de vision de l’équipe néerlandaise sur l’orage.
Par la suite, le RFD prend réellement le dessus sur la zone de rotation. Les captures d’écran des vidéos de l’équipe néerlandaise montrent parfaitement cela. Les dommages toujours significatifs après Bihucourt semblent démontrer que la tornade est toujours au sol.
Séquences de photos montrant le passage de la tornade sur Bihucourt. Crédit photo: Rick Bekker et al.
Analyses radars
Les analyses radars montrent, entre 18h05 et 18h20, une évolution du mésocyclone suite à la survenue d’un Rear Inflow Notch. L’apparition de ce dernier dénote un renforcement brutal du flux à l’arrière de la structure. Ce RIN apporte ainsi une vorticité supplémentaire, susceptible d’accentuer la rotation sous le mésocyclone. Dans ce cas, la tornade se développe et se renforce brutalement, quelques instants avant d’atteindre Bihucourt. Tandis que la base du mésocyclone était en grande partie entourée de précipitations, l’apparition brutale du RIN va chasser en grande partie celles-ci.
Image radar des précipitations du 23 octobre 2022 à 18h05, 18h10, 18h15 et 18h20 . Source de l’image : Météociel
Mais ce n’est pas tout. La survenue du puissant RIN va temporairement amener une évolution de la structure vers un « bow echo ».
Cependant, cette évolution ne perdure pas dans le temps. En effet, dès que le RIN s’estompe, la structure générale reprend progressivement une composante « en ligne » en arrivant sur le département du Nord, puis en possible « LEWP ».
Au sein de cette structure, la supercellule conserve une certaine identité. La rotation principale, quant à elle, se situe bien à l’avant de la structure arquée.
Image radar des précipitations du 23 octobre 2022 à 18h10, 18h15, 18h20 et 18h25. Source de l’image : Météociel
Notons aussi que l’activité électrique s’estompe en grande partie lorsque la structure évolue en « bow echo », ajoutant un argument au fait qu’à ce moment, la structure orageuse est dans une profonde phase de restructuration.
Ainsi, en résumé, une tornade s’est plus que probablement développée à quelques km en amont de la commune de Bihucourt. Elle s’est ensuite intensifiée très rapidement pour atteindre son intensité maximale quelques kilomètres plus loin et ce, au moment où le RIN attaque l’arrière de la supercellule.
Ainsi, pour notre part et celle de l’équipe néerlandaise, la tornade de Bihucourt ne pouvait pas être un prolongement de la tornade qui touchait Querrieu quelques instants plus tôt.
Les images de l’équipe néerlandaise et leurs témoignages, ainsi que les images radars, nous semblent explicites. Toutefois, en l’absence d’imageries Doppler de vélocité, les constatations faites ici ne peuvent être considérées comme vérité absolue, mais plutôt comme des hypothèses.