Résumé
Le samedi 7 juin 2025, aux alentours de 19h30, un brutal phénomène venteux s’est produit en Belgique entre Ormeignies et Ath, en province de Hainaut. Une enquête de terrain réalisée par Belgorage a pu mettre en évidence la survenue d’une tornade d’intensité maximale F1 sur l’échelle de Fujita (vents estimés entre 120 km/h et 180 km/h). Le tourbillon s’est déplacé rapidement sur près de 3 km de distance, et sur une largeur d’environ 100 m. Les dégâts ont essentiellement été portés à la végétation, et plus ponctuellement au bâti.
Enfin, un deuxième évènement venteux s’est produit peu de temps auparavant sur la commune de Limbourg, en province de Liège. Une origine tornadique est également suspectée, mais nous ne sommes pas en mesure de le confirmer.
Situation atmosphérique
Les conditions atmosphérique n’étaient que moyennement propices à la survenue de phénomènes tourbillonnaires. Ce sont vraisemblablement des conditions locales, pratiquement imprévisibles dans les faits, qui ont vraisemblablement donné le coup de pouce nécessaire à la survenue de ces phénomènes.
Toutefois, on notera que la dynamique d’altitude était assez présente, avec la circulation d’une branche du jet stream sur le nord de la France, plaçant nos régions en sortie gauche de ce dernier. De même, un talweg en provenance de la mer du Nord arrivait sur l’ouest de la Belgique en soirée. En basses couches, l’instabilité demeurait limitée (300-500 J/kg) mais les cisaillements augmentaient en soirée, en lien aussi avec une accélération du flux près de la surface.
Déroulement de la journée
Durant la deuxième partie de la nuit ainsi que pendant la matinée, une zone de pluie traverse notre pays d’ouest en est, finissant par se dissiper sur l’Ardenne avant midi. À ce moment, une nuée d’averses se développe sur une grande portion centrale de la Belgique. Ces dernières évoluent localement jusqu’à l’orage, en donnant par endroit de fortes précipitations passagères.
En fin d’après-midi, l’activité orageuse se renforce depuis la province de Hainaut en plusieurs paquets multicellulaires qui progressent vers le nord-est. Parfois, des structures intéressantes sont observées, notamment en Hesbaye liégeoise et sur le Namurois en début de soirée, avec un axe convectif qui s’étire sur la vallée de la Meuse entre Charleroi et Liège. En parallèle, on observe aussi une seconde ligne plus à l’ouest, entre Ninove et Douai, en passant par Ath, où un brusque phénomène venteux engendre des dégâts vers 19h30.
Par la suite, ces axes convectifs continuent leurs déplacements vers le nord-est. On note aussi qu’un noyau plus actif circule depuis le sud de Liège jusqu’à Raeren en début de soirée, avec là aussi des dommages engendrés vers 19h15 dans la commune de Limbourg, à la pointe sud de la cellule. Il pourrait possiblement s’agir d’une seconde tornade, car un dipôle est visible sur les images doppler. De plus, les témoins parlent d’un phénomène qui s’est produit « en une fraction de secondes ». Toutefois, nous n’avons pas assez d’informations pour pouvoir le certifier car aucune enquête de terrain n’a pu être menée.
Enfin, en début de nuit, une zone pluvieuse traverse une bande centrale de notre pays, du sud-ouest vers le nord-est. Quant aux cumuls pluviométriques, ils atteignent, sur 24h, entre 30 mm et 40 mm localement, faisant beaucoup de bien sur le plan de la sécheresse de surface.
Analyse de la cellule de Ath
Le tourbillon s’est développé sous une cellule appartenant à un axe convectif traversant rapidement le nord du Hainaut à ce moment. Elle se trouvait juste à l’avant d’une série d’autres cellules qui ont vraisemblablement leur importance dans la genèse du phénomène.
La cellule tornadique s’est rapidement structurée à partir de 19h15 près de Leuze-en-Hainaut pour atteindre son apogée juste au sud-ouest de Ath entre 19h25 et 19h30. À ce moment, les radars de réflectivité identifiaient une inflexion dans l’axe convectif, au niveau d’un noyau de précipitations fraîchement renforcé. À l’arrière de ce noyau, un pincement dans les réflectivités associé à une encoche où les précipitations étaient moindres semblait trahir la survenue temporaire d’un possible RIJ (‘rear inflow jet’ ou ‘rapide flux entrant arrière’ en anglais, qui se manifeste sous forme d’un courant de vent incisant l’arrière des précipitations à moyenne altitude). Cela engendre un déplacement plus rapide des cellules soumises à son influence, qui finissent par approcher et fusionner avec les autres cellules situées plus en aval, dont celle responsable de la tornade. En effet, celle-ci se renforçait au moment où les autres cellules à son arrière l’approchaient. Bien que cela ne soit qu’une hypothèse, il est possible que l’interaction entre le foyer tornadique et les autres cellules citées ait permis l’émergence de conditions locales au niveau des vents aboutissant à la formation du tourbillon (renforcement de la convergence en basse couche, accélération du RIJ…).
De plus, nous avons, dans le même temps, des signes d’une mise en rotation de celle-ci. Cette rotation est confirmée par les radars Doppler, avec un dipôle de vitesses radiales particulièrement marqué au lieu et à l’heure de survenue de la tornade.
Radar des précipitations à 19h35 le 7 juin 2025. Source : Meteociel
Cette rotation ne semble cependant pas avoir perduré dans le temps, dans la mesure où les signaux en ce sens sont observables pendant un laps de temps inférieur à 30 minutes. Cette durée est trop courte pour qualifier la cellule de supercellule. Par ailleurs, on note que pratiquement aucune activité électrique n’était associée à ce foyer.
Ainsi, il se pourrait que le RIN observé a eu un double effet. Tout d’abord, il a obligé les différentes cellules à fusionner tout en s’arquant. De plus, il apporta des vents puissants à l’arrière des cellules, amenant ainsi un surplus de vorticité favorable au développement de tourbillons.
De ce fait, le contexte météorologique local ainsi que le rôle du RIN sembleraient apporter des conditions temporairement favorables au développement d’une tornade.
Résultats de l’enquête de terrain
Les premiers dommages sont constatés le long de la chaussée de Valenciennes à Ormeignies (1). Cependant, ceux-ci sont très légers avec quelques branches qui sont à terre. Néanmoins, nous ne pouvons pas certifier que le premier contact de la tornade ait eu lieu à cet endroit, car en amont, une plaine agricole ne peut nous offrir des indices de son passage.
Carte illustrant le parcours de la tornade de Ath du 7 juin 2025. Fond de carte : Google Earth
Ensuite, c’est au niveau du Ravel L081 que les premiers dommages réellement imputables au passage d’un vortex sont visibles (2). Un arbre est notamment torsadé et des branches sont éparpillées dans toutes les directions. Un témoin qui était sur les lieux au moment de la survenue du phénomène nous livre son récit :
« J’aime bien me balader ici, peu importe le temps. Il pleuvait et le vent soufflait, mais cela ne m’avait pas empêché de continuer ma balade. Et puis brutalement, la pluie s’est intensifiée. Les nuages étaient noirs et en l’espace de quelques secondes, une puissante rafale s’est abattue. Mais c’était plus comme un vent tourbillonnant. Un grand peuplier proche a eu des branches qui s’envolaient. On aurait dit une tornade. Et puis la pluie a continué à sévir, mais cela n’avait plus rien à voir. Je n’ai pas entendu tonner, tout a été très vite. J’ai quand même eu peur… »
Par ailleurs, le sillon de la tornade est visible à travers un champ d’escourgeon. Il semblerait donc que ce témoin était très proche du passage du tourbillon qui venait probablement de toucher le sol, alors qu’auparavant, il ne faisait que le survoler.
Plus loin, cela se confirme car les dommages deviennent nettement plus importants au niveau de la rue de l’Agriculture (3). Là, de nombreux arbres et arbustes sont à terre, tandis qu’une grange a sa toiture fortement endommagée. L’intensité a atteint le niveau F0-T1, voire F1-T2.
Toiture d’une grange fortement endommagée à la rue de l’Agriculture à Ormeignies.
Arbres déracinés rue de l’Agriculture à Ormeignies. Crédit photo : Anne Vermaut
Par après, le tourbillon traverse un nouveau champ et le tracé est visible sur les feuilles de betteraves. Enfin, lorsque la tornade atteint une rangée de jeunes peupliers vigoureux, ceux-ci sont littéralement dépouillés de leurs branches. Certaines d’entre elles sont même projetées à plusieurs dizaines de mètres. En outre, un axe de convergence est identifié, bien que les dommages les plus importants soient situés sur le flanc droit du couloir, ce qui est typique d’une tornade se déplaçant rapidement. À cet endroit, l’intensité a atteint le niveau F1-T2, voire le niveau F1-T3.
Plusieurs jeunes Peupliers vigoureux totalement ébranchés, certains étant rabattus jusqu’au sol.
Le tourbillon traverse ensuite une propriété agricole, tout en continuant à déraciner ou à dépouiller des arbres. Elle diminue cependant légèrement d’intensité jusqu’au chemin des Tuileries (4). Là encore, des branches de jeunes peupliers sont projetées et, preuve du passage d’une tornade, celles-ci ne sont pas dispersées dans la direction du déplacement du phénomène, mais bien disposées vers la gauche par rapport au déplacement de celui-ci. On estime à ce dernier endroit que l’intensité se limite au maximum au niveau F1-T2.
Peupliers ébranchés au Chemin des Tuileries à Ath.
Par la suite, il est impossible de déterminer si le tourbillon garde un contact permanent avec le sol ou non, car il traverse à nouveau des champs.
Mais c’est en arrivant à la rue de la Haute Forière (5) à Ath que des traces du tourbillon sont à nouveau visibles. La partie sud du quartier de l’Europe est touchée, mais de manière très ponctuelle. Il est donc possible que le tourbillon ait pu se rétracter, en partie, en survolant les habitations. Cependant, on retrouve des dommages plus significatifs au parc situé à la place du Pays Vert.
En effet, plusieurs arbres et arbustes sont endommagés, de même que certaines toitures qui ont perdu des tuiles. Cela relève à nouveau du niveau d’intensité F0-T1. De plus, de nombreux témoins nous racontent l’évènement qu’ils ont vécu :
« Tout a été très vite. Il pleuvait, mais ce n’était pas à proprement parlé le déluge. Puis, la pluie s’est intensifiée brutalement. Le vent a soufflé très fort, mais ce n’était pas comme un orage classique ou une tempête. C’était un phénomène brutal et tourbillonnant qui n’a pas duré une minute. »
« Notre voisine a vu un trampoline se soulever, rester comme en suspens dans l’air, tout en traversant le parc, avant d’atterrir brutalement sur la route. »
« C’était comme une colonne blanche ou grise, qui a soufflé les arbres (du parc) sur son passage. Ça a été très vite. »
« Il ne tonnait pas. La pluie tombait, mais sans être très forte. Et puis en l’espace de quelques secondes, le vent a tourbillonné et tout s’est mis à s’envoler. Ce fût un phénomène extrêmement court. »
Par la suite, plus aucun dégât n’est observé. Il est donc probable que le tourbillon se soit définitivement résorbé. Ainsi, on a probablement eu affaire à un tourbillon de type « touch and go », ne touchant le sol qu’à certains endroits, et ce, sur une distance d’au moins 2,9 kilomètres.