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    Samina Verhoeven
    Maître des clés

    Les Tornades

    Ces violents tourbillons constituent un des phénomènes les plus difficiles à cerner de la météorologie. De nouvelles techniques d’observation révèlent comment ils naissent dans un orage et elles promettent de dévoiler la nature des courants qui les animent.
    Par John Snow

    On s’interroge depuis longtemps sur les tornades pour la simple raison qu’il est important de les comprendre. Elles éclatent sporadiquement et avec fureur, créent les vents les plus forts qui existent à la surface du globe et tuent plus de personnes chaque année que tout autre phénomène météorologique, à l’exception de la foudre. Leur nature même les rend inaccessibles à une observation planifiée. On pense par exemple que la vitesse maximale des vents dans une tornade est de l’ordre de 500 kilomètres à l’heure, mais cette estimation ne repose que sur l’analyse de films photographiques ou sur l’examen des dommages infligés à des constructions. On ne dispose d’estimations des variations de pression atmosphérique, autre type essentiel d’information, que pour les quelques orages qui sont passés près de stations météorologiques : aussi, les météorologistes n’ont-ils pu bâtir les modèles, parfois très élaborés, de la physique des tornades, que sur des observations très incertaines.

    Cet état de fait est en train de changer. À partir de 1970, on a commencé à sonder les orages qui produisent des tornades à l’aide de radars Doppler et à mesurer la vitesse des vents dans de tels orages depuis un lieu sûr. On a ainsi grandement amélioré la connaissance du courant ascendant – cette colonne d’air montante au cœur de l’orage – et de ses interactions avec l’environnement. On sait aujourd’hui bien mieux comment un fort courant ascendant amorce le mouvement de rotation de l’air et comment les vents tournants s’intensifient pour donner naissance à la tornade.

    En revanche, la dynamique de la tornade elle-même reste assez insaisissable. Le diamètre du nuage de la tornade mesure rarement plus de quelques centaines de mètres et la résolution du radar Doppler ne permet pas de mesurer la vitesse du vent à si petite échelle. L’analyse d’images filmées fournit de nombreux indices sur le déplacement de l’air dans la tornade mais la plupart des descriptions théoriques du comportement du vent et de la pression au cœur d’une tornade reposent encore sur des simulations effectuées en laboratoire à l’aide d’ordinateurs. On voit néanmoins poindre des techniques de mesure nouvelles, comme par exemple le lidar (qui fonctionne selon le même principe que le radar mais avec des ondes lumineuses plutôt que des hyperfréquences ; cet appareil permettra peut-être d’observer systématiquement le cœur de la tornade et de dévoiler une partie des mystères qui subsistent encore.

    Qu’est-ce qu’une tornade?

    Une tornade est le fruit d’un orage, ou plus précisément de l’interaction d’un orage violent avec les vents de la troposphère, la couche atmosphérique active qui s’étend depuis le sol jusqu’à une altitude comprise entre 9 et 17 kilomètres. Une faible partie de l’énergie colossale de l’orage, coiffé de son cumulo-nimbus qui s’étend sur 10 à 20 kilomètres et sur une hauteur de plus de 17 kilomètres, se concentre alors dans une zone n’excédant pas quelques centaines de mètres de diamètre. Avant d’aller plus loin dans la description de ce processus, nous allons d’abord décrire le phénomène lui-même.

    Une tornade est un tourbillon (le terme scientifique est « vortex ») : l’air tourne autour de l’axe de la tornade à peu près aussi vite qu’il se déplace le long de cet axe. Aspiré par la forte dépression du cœur central, l’air s’engouffre à la base du vortex proche du sol en traversant une mince couche d’air de quelques dizaines de mètres puis commence son mouvement giratoire ascendant autour du cœur pour se mélanger finalement, à l’extrémité supérieure cachée de la tornade, aux courants du nuage générateur. La pression dans le cœur peut être inférieure de dix pour cent à celle de l’atmosphère environnante : à peu près la même différence qu’entre la pression au niveau de la mer et à une altitude de 1000 mètres. Les vents dans une tornade sont presque toujours cycloniques : dans l’Hémisphère Nord, ils tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

    Le vortex a généralement – mais pas toujours – la forme d’un nuage en entonnoir (le tuba) qui s’étend parfois jusqu’à terre. Ce tuba ne se forme que si la chute de pression dans le cœur dépasse une valeur critique, fonction de la température et de l’humidité de l’air entrant. Quand l’air pénètre dans la zone de basse pression, il se dilate et se refroidit ; s’il se refroidit suffisamment, la vapeur d’eau qu’il contient se condense en gouttelettes. Plus l’air entrant est chaud et sec, plus la chute de pression doit être grande pour que la condensation puisse avoir lieu et que le tuba se forme. Parfois le tuba de condensation ne se constitue pas et l’on ne devine la présence de la tornade que par la poussière et les débris qu’elle emporte.

    Le tuba mesure de quelques dizaines de mètres à plusieurs kilomètres de long et, au point de contact avec le nuage générateur, son diamètre est compris entre quelques mètres et quelques centaines de mètres. Généralement il a une forme conique, mais les tornades très fortes engendrent des colonnes cylindriques courtes et larges ; on distingue aussi, assez souvent, de longs tubes qui ressemblent à des cordes et qui serpentent horizontalement. Au cours de la brève existence d’une tornade (jamais plus de quelques heures), la taille et la forme du tuba peuvent beaucoup changer et refléter les variations d’intensité des vents ou des propriétés de l’air entrant. La couleur du tuba varie du blanc sale au gris et même au gris bleu foncé lorsqu’il est constitué principalement de gouttelettes d’eau ; quand le cœur se remplit de poussière, le tuba prend une teinte plus originale, comme par exemple la couleur rouge de l’argile de l’Ouest de l’Oklahoma. Les tornades peuvent aussi être bruyantes, rugissant parfois comme un train de marchandises ou la turbine d’un réacteur. Ce rugissement résulte probablement de l’interaction des vents violents avec le sol.

    Les orages

    Les tornades prennent naissance dans les courants ascendants des orages. Les orages, quant à eux, apparaissent dans une atmosphère instable telle que lorsqu’une masse d’air commence à monter, sa vitesse croît au cours de la montée. Dans l’atmosphère, la pression, et en général la température, diminuent avec l’altitude : une masse d’air ascendante se refroidit en se dilatant, du fait de la diminution de pression. Dans une atmosphère instable, en revanche, la température de l’air ambiant diminue plus vite avec l’altitude que celle d’une masse d’air soulevée : cette masse d’air peut ainsi devenir plus chaude et donc moins dense que le nouvel environnement et elle s’élève alors d’elle-même. Ce mouvement ascendant, que l’on appelle la convection libre, est un processus libérateur d’énergie : l’énergie potentielle emmagasinée dans l’atmosphère instable se transforme en énergie cinétique de déplacement. Dans la réalité, il est rare que la température de l’atmosphère diminue plus vite que celle de la masse d’air ascendante. Cependant, l’air au niveau du sol est en général humide ; quand il s’élève, il se refroidit jusqu’à son point de rosée, à un niveau appelé « niveau de condensation ascendante » ou NCA et la vapeur d’eau qu’il contient commence à se condenser. La condensation libère une certaine quantité de chaleur, la chaleur latente fournie à l’eau au moment de son évaporation. Il en résulte une diminution notable de la vitesse de refroidissement de la masse d’air ascendante. Généralement, si l’on porte cette masse d’air à une altitude légèrement supérieure au NCA, elle atteint un niveau où elle devient plus chaude que l’air environnant : le « niveau de convection libre » ou NCL. Elle s’élève alors librement jusqu’à ce que sa température soit de nouveau en équilibre avec la température environnante. Ce niveau d’équilibre correspond au sommet du nuage ; la base plate à l’avant de l’orage se situe au NCA.

    Une atmosphère instable est constituée en général d’une couche d’air de surface, humide et chaud, surmontée d’air froid plus sec. Ces deux couches sont souvent séparées par une zone d’inversion de température, c’est-à-dire une mince couche d’air où la température augmente avec l’altitude. Une masse d’air s’élevant à travers cette couche sera plus froide que l’air qui l’entoure et aura tendance à être repoussée vers le bas. L’inversion est donc très stable : elle empêche tout mouvement ascendant et rétablit l’équilibre. Au cours de la journée, lorsque le sol est chauffé par le Soleil, l’air emprisonné sous cette inversion se réchauffe encore plus et peut également devenir plus humide du fait de l’évaporation. Si la zone d’inversion est localement érodée par des mélanges avec la couche inférieure ou si des phénomènes à grande échelle la soulèvent en bloc, la couche de surface devenue très instable jaillit violemment à certains endroits. L’air à la surface du sol s’écoule alors horizontalement vers ces points d’éruption et forme de hauts nuages d’orage.

    Une inversion locale peut s’atténuer ou même disparaître complètement si le jet stream passe au-dessus d’elle avec une force maximale (le jet stream est un courant de vents forts qui soufflent d’Ouest en Est à une altitude comprise entre 8 et 12 kilomètres). Le jet stream au-dessus des États-Unis est généralement associé au front polaire, qui constitue la frontière entre les masses d’air polaire et tropical ; il se déplace vers le Nord ou vers le Sud, suivant la position saisonnière de ce front. Le cœur du jet a environ 100 kilomètres de largeur (dans la direction Nord-Sud) et un kilomètre de hauteur. La vitesse des vents dans le jet varie entre 90 kilomètres à l’heure et un maximum estimé de 360 kilomètres à l’heure (les météorologistes évaluent généralement la vitesse des vents en mètres par seconde, mais nous utiliserons ici le kilomètre à l’heure, qui est une unité plus usuelle). À l’intérieur au jet stream, des vents particulièrement intenses, soufflant sur plusieurs centaines de kilomètres, se déplacent dans le sens du courant en refoulant vers le bas l’air devant eux et en aspirant vers le haut l’air derrière eux. Ce phénomène d’aspiration ascendante, s’il est suffisamment fort, peut dissiper une inversion et favoriser la formation d’orages ou l’intensification des orages en cours. Quand un orage engendre une tornade, on observe presque toujours cette configuration favorable des masses d’air à haute altitude. Même en présence d’une telle configuration, un courant ascendant n’apparaît que si l’air instable au voisinage du sol est poussé jusqu’à la convection libre ; cette poussée mécanique indispensable a des causes diverses. L’une d’elles est l’ascension forcée de l’air le long d’une pente par des phénomènes météorologiques à grande échelle. On observe aussi ce genre de propulsion sur un front froid, où de l’air froid et dense s’avance dans une région plus chaude, se frayant un chemin sous l’air chaud en le soulevant.

    Pourquoi dans le Middle West ?

    Les tornades se produisent un peu partout dans le monde. L’Australie semble occuper la seconde place derrière les États-Unis pour la fréquence des tornades, mais le manque de données fiables dans les régions faiblement peuplées du monde (dont l’Australie) rendent les statistiques imprécises. Néanmoins, le Centre et le Sud-ouest des États-Unis sont, sans nul doute, les points chauds du monde en ce qui concerne les tornades et la région de fréquence maximale comprend le Nord du Texas, l’Oklahoma, le Kansas et certaines parties du Nebraska et du Missouri. Au printemps, et dans une moindre mesure en automne, toutes les conditions requises pour la formation de violents orages générateurs de tornades y sont réunies : une répartition fortement instable de la température et de l’humidité dans l’atmosphère, de forts fronts froids qui fournissent la poussée nécessaire au démarrage de la convection et des vents dans la haute atmosphère qui favorisent la formation de puissants courants ascendants.

    Le front polaire – la frontière entre l’air polaire continental (Pc) et l’air tropical marin (Tm) plus chaud et plus humide – est le lieu privilégié où s’établissent simultanément de telles conditions atmosphériques. L’air polaire (Pc) se refroidit au cours des longues nuits d’hiver dans l’Ouest et le Centre du Canada et sa progression vers le Sud est détournée vers le Sud-est et l’Est par les Montagnes Rocheuses. Le mouvement vers le Nord de l’air tropical marin (Tm), provenant du Golfe du Mexique, est amplifié par un courant qui circule dans le sens des aiguilles d’une montre autour d’un point de haute pression situé à l’Est des Bermudes. Par conséquent, les deux masses d’air se heurtent de front au centre des États-Unis ; l’écart de température au niveau du sol entre le Sud et le Nord de cette région est très prononcé, particulièrement au printemps. Comme la pression atmosphérique décroît plus rapidement en fonction de l’altitude dans l’air froid que dans l’air chaud, l’écart de température s’accompagne généralement d’un gradient de pression en altitude ; cet état de fait donne naissance à un fort jet stream ; ce jet stream souffle parallèlement au front polaire car il est dévié à la fois par la force de Coriolis et par la présence de ce front qu’il ne peut traverser. Les vents ainsi intensifiés dans la haute atmosphère créent dans cette région des conditions qui favorisent les mouvements ascendants et la formation des orages.

    Si le front polaire est légèrement perturbé, par exemple par une petite modification du trajet du jet stream, de l’air chaud et humide s’accumule vers le Nord à l’Est du centre de la perturbation tandis qu’à l’Ouest l’air froid s’écoule vers le Sud. Les vents qui en résultent constituent une circulation cyclonique (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) autour d’un centre de basse pression. Ces ondes cycloniques qui apparaissent le long d’une ligne Ouest – Est de 1000 à 2000 kilomètres de longueur, se déplacent vers l’Est le long du front, et les vents de secteur Sud-est contribuent à pousser l’air tropical marin (Tm) vers le Nord. Quand l’air chaud et humide (Tm) arrive au-dessus du centre des États-Unis, dans la moitié inférieure de la troposphère, il s’écoule sous de l’air plus froid et beaucoup plus sec. Ce profil de température atmosphérique est très instable. À l’arrière de l’onde, un front froid s’insère à grande vitesse sous l’air chaud (Tm), ce qui fournit l’énergie ascensionnelle nécessaire au démarrage de la convection : le long de ce front froid, de violents orages se forment.

    La région la plus propice à la formation d’orages violents dans le centre des États-Unis se déplace avec les saisons ; elle se situe près du Golfe du Mexique à la fin février, lorsque la masse d’air polaire (Pc) a atteint la limite extrême de son déplacement vers le Sud. La route des orages se déplace ensuite graduellement vers le Nord au cours du printemps. Le sol se réchauffe et l’air du Golfe repousse la masse d’air polaire. Au début de l’été, des orages éclatent dans le Dakota. De la fin de l’été jusqu’au début de l’automne, un temps relativement stable s’installe en raison du faible écart de température le long du front polaire. À la fin de l’automne, l’écart de température s’accentue à nouveau et la région des orages regagne le Golfe, ce qui termine le cycle. Le retour vers le Sud étant un peu plus rapide que l’avancée vers le Nord, la période des tempêtes est plus courte en automne qu’au printemps. Globalement, la fréquence mensuelle des tornades suit le même schéma. Environ 74 pour cent des tornades aux États-Unis se produisent de mars à Juillet, les mois forts étant avril (15 pour cent), mai (22 pour cent) et juin (20 pour cent). Les tornades d’avril sont les plus meurtrières ; les différences physiques entre les deux masses d’air sont plus aiguës à la fin mars et en avril, ce qui provoque, à cette époque, de forts orages et la plupart des tornades violentes. Au mois d’octobre et de novembre, la fréquence des tornades augmente à nouveau mais sans atteindre la fréquence des tornades d’avril, à cause des orages qui accompagnent les ouragans et des orages le long du front polaire.

    Comment se forment les tornades ?

    Un orage violent fournit le courant ascendant intense et durable qui donne naissance à une tornade et qui évite que le cœur à basse pression ne se remplisse par le haut. Quand on observe le sommet d’un orage de ce type par satellite on remarque généralement une suite caractéristique de « bulles » ascendantes, constituées de nuages qui s’élèvent entre deux et quatre kilomètres au-dessus du niveau supérieur du nuage principal avant de retomber dans la masse nuageuse. Ces bulles dénotent la présence, dans l’orage, d’un courant ascendant intense et très structuré. Cependant, une tornade ne se forme que si l’air du courant ascendant se met à tourner : c’est ce qui arrive quand ce courant ascendant concentre le mouvement de rotation des vents horizontaux de la troposphère.

    Tous les vents ne font pas l’affaire. Il apparaît qu’ils doivent être soumis à un cisaillement vertical très fort en direction et en intensité : la vitesse du vent doit augmenter avec l’altitude et son orientation doit virer du Sud-est vers l’Ouest. Le cisaillement vertical du champ de vitesses du vent provoque un mouvement de rotation autour d’un axe horizontal. Pour comprendre pourquoi, imaginez une roue à palettes, d’axe horizontal, placée dans un champ de vent soufflant de gauche à droite. Si le vent qui frappe le haut de la roue est plus fort que celui qui souffle sur le bas, la roue se met à tourner dans le sens des aiguilles d’une montre. De la même manière, une masse d’air placée dans un champ de vent soumis à un cisaillement est animée d’un mouvement de rotation car le haut de la masse d’air se déplace plus vite que le bas. Quand les vents entrent en interaction avec un fort courant ascendant, cette rotation autour d’un axe horizontal peut basculer et devenir une rotation autour d’un axe vertical. Le cisaillement de la direction du vent est ainsi une cause directe de la rotation verticale ; les vents qui tournent du Sud-est vers l’Ouest engendrent une circulation cyclonique (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) de l’air qui s’engouffre à la base du courant ascendant de la dépression.

    D’après les modèles usuels, la naissance d’une tornade à partir d’un violent orage se fait en deux étapes. Le courant ascendant de l’orage se met d’abord à tourner ; la colonne d’air ascendante et en rotation, qui a un diamètre de 10 à 20 kilomètres, constitue le mésocyclone (si, par la suite, il engendre une tornade, ce qui n’est généralement pas le cas, on l’appelle un cyclone à tornades). Les observations par radar Doppler ont montré que le mouvement de rotation commence dans la troposphère moyenne, à des altitudes de quatre à huit kilomètres. Le basculement de l’axe de rotation semble être le mécanisme principal intervenant à ce stade.

    Ce courant tournant se propage ensuite vers le sol par un effet de « tube dynamique ». Le long de la colonne en rotation, le champ de pression est en équilibre avec le champ de vents où la circulation est fortement incurvée. En effet, la force dirigée vers l’intérieur, qui s’exerce sur l’air du fait de la faible pression qui règne au centre de la colonne, est équilibrée la rotation de l’air autour du centre de la colonne. Dans ces conditions d’équilibre cyclonique, l’air circule facilement, autour et le long de l’axe du cyclone, mais il ne peut pratiquement pas s’en éloigner ou s’en approcher. Alors qu’auparavant une partie de l’air entrait dans la colonne ascendante à l’altitude des couches moyennes, maintenant la presque totalité de l’air s’engouffre à la base du tuba. Le cyclone se comporte comme un tube dynamique ; tout se passe comme dans le tuyau d’un aspirateur, hormis le fait que l’air n’est pas canalisé par les parois d’un tuyau mais par son propre mouvement tourbillonnaire. Il en résulte une intensification du courant ascendant et, par conséquent, un renforcement des vents qui convergent sous le cyclone. Du fait du cisaillement de la direction du vent, l’air qui s’engouffre dans le courant ascendant s’élève en tournant autour du centre de la colonne. D’après une loi fondamentale de la physique, le moment cinétique d’une masse d’air par rapport à son axe de rotation vertical est conservé ; ce moment cinétique est égal au produit de la quantité de mouvement (la masse multipliée par la vitesse) par la distance à l’axe. Par conséquent, à mesure que sa distance au centre diminue, la vitesse de la masse d’air augmente ; elle se met à tourner plus vite de même qu’en patinage artistique la danseuse tourne plus vite quand elle ramène les bras le long du corps. Donc, à la base du tube dynamique, la vitesse de rotation augmente ; cela provoque un allongement du tube vers le bas, par propagation du mouvement tourbillonnaire plus intense. Les masses d’air qui entrent à la base du tube tournent et montent en gagnant de la vitesse. Elles sont ainsi étirées verticalement. Cet étirement ramène le diamètre du mésocyclone à environ deux à six kilomètres, ce qui renforce encore ta vitesse des vents : le moment cinétique de l’air, qui tourne maintenant à une distance plus faible de l’axe, est conservé.

    Le basculement, l’effet de tube dynamique, la convergence et l’étirement vertical sont des processus qui s’entraînent mutuellement et qui peuvent, par la suite, former un mésocyclone dont le pied est à une altitude d’un kilomètre et le haut presque au sommet de l’orage à environ 15 kilomètres. Les vents de surface soufflent à des vitesses atteignant parfois 120 kilomètres à l’heure dans toute la région située sous la colonne tourbillonnante. La rotation dans le mésocyclone est cependant encore trop diffuse et trop éloignée du sol pour engendrer des vents de surface très violents.

    C’est lors de la seconde étape que de tels vents apparaissent et qu’un violent orage donne naissance à une tornade quand se forme l’œil de la tornade. Pour des raisons que l’on ne comprend pas encore, une zone de convergence et d’étirement renforcés, d’un diamètre n’excédant pas un kilomètre, et un peu excentrée, se forme à l’intérieur du mésocyclone. Des observations par radar Doppler suggèrent ici encore que l’intensification de la rotation commence en altitude, à plusieurs kilomètres au-dessus du sol, puis se propage très rapidement vers le bas. Sur une si petite zone, le mouvement de rotation est assez fort pour que le tuba descende jusqu’à quelques dizaines de mètres du sol ; tout près du sol, les frottements empêchent l’établissement de l’équilibre cyclonique car ils ralentissent le mouvement de rotation.

    Le gradient de pression entre le cœur de la tornade et l’atmosphère environnante aspire l’air à l’intérieur de celle-ci, à travers une fine couche d’air proche du sol. Du fait de l’inertie, le courant entrant va plus loin que son rayon d’équilibre, tout en conservant son moment cinétique et en gagnant de la vitesse quand il s’approche du centre du cœur, avant de se mettre à tourner brutalement et à monter en spirale. Par conséquent, les vents les plus violents soufflent dans une petite région en forme d’anneau à la base du vortex. Les frottements avec le sol limitent finalement la vitesse de l’air entrant à la base et empêchent donc la tornade de se remplir par le bas ce qui contribue à maintenir la dépression qui règne à l’intérieur.

    Évolution et structure

    Un orage qui produit une tornade dure en général deux à trois heures et donne le plus souvent naissance à une seule tornade dont la durée de vie est relativement courte. La majeure partie de la durée de vie de l’orage est constituée des phases d’organisation et de dissipation. La période de maturité, au cours de laquelle l’orage est susceptible de provoquer une tornade, ne dure parfois que quelques dizaines de minutes. Au cours de cette phase, l’orage se déplace et emporte avec lui une masse sans cesse renouvelée d’air humide et instable. À de rares occasions, le courant ascendant et le cyclone à tornades qui l’accompagne atteignent un état stationnaire, et l’orage devient alors une « supercellule ». Dans certaines supercellules, l’intensité du cyclone croît et décroît rapidement, ce qui engendre une série de tornades. On a ainsi observé des « familles » de tornades comprenant jusqu’à huit membres disséminés sur une distance de 200 à 300 kilomètres. À de plus rares occasions, le cyclone reste actif pendant plusieurs heures et ne donne qu’une seule et longue tornade qui sème la désolation sur son passage. La tornade la plus destructrice que l’on ait jamais enregistrée est la tornade des Trois États du 18 mars 1925, qui provoqua la mort de 689 personnes sur un parcours de 352 kilomètres, du Sud-est du Missouri au Sud-ouest de l’Indiana, en passant par l’Illinois.
    Les vortex des tornades ont des tailles et des formes très variées. Il est délicat de tirer des conclusions sur la dynamique du cœur du vortex à partir des observations du tuba car l’aspect de celui-ci dépend non seulement de la structure du cœur, mais aussi du degré d’humidité de l’air, des propriétés du sol et d’autres facteurs, et il peut même changer au cours de la vie de la tornade. On peut néanmoins énoncer quelques propriétés générales.

    Les tornades classées « faibles » selon l’échelle mise au point par T. Fujita de l’Université de Chicago (la vitesse maximale des vents est alors comprise entre 65 et 180 kilomètres à l’heure) sont associées à un tuba unique non turbulent, souvent en forme de long cône dont le sommet est en bas et la surface lisse. Le tuba n’atteint généralement pas le sol et les vents verticaux les plus rapides soufflent le long de l’axe central. Au contraire, le vortex d’une tornade classée « forte » (pour des vitesses allant de 180 à 330 kilomètres à l’heure) est généralement turbulent et le nuage du tuba – une large colonne qui descend presque toujours jusqu’au sol – est tumultueux et bouillonnant. Dans ces tornades, les vitesses verticales les plus élevées sont atteintes dans l’anneau entourant l’axe central ; elles sont plus faibles sur l’axe central lui-même et peuvent même s’y inverser créant ainsi un courant descendant. Il existe bien évidemment des formes intermédiaires entre ces deux types de vortex.
    La plupart des tornades classées « violentes » (plus de 330 kilomètres à l’heure) ont un aspect très différent : l’« œil » central est clair et calme et il est entouré de deux ou plusieurs vortex secondaires. L’air qui descend dans l’œil sans tourbillonner, est aspiré du haut par la pression extrêmement basse qui règne au niveau du sol ; l’œil est clair car les gouttelettes d’eau de l’air s’évaporent quand celui-ci descend et se réchauffe. Au sol, le courant intérieur rencontre le courant primaire venant de l’extérieur du cœur du vortex. Le courant résultant remonte et crée des vortex secondaires dans un anneau cylindrique autour du courant descendant central. Les vortex secondaires tournent à la fois très vite autour de leur axe hélicoïdal et autour de l’axe de la tornade. Il semble que les vents les plus rapides à la surface de la Terre, qui approchent 480 kilomètres à l’heure, soufflent à la base de ces vortex secondaires. La découverte de cette structure à vortex multiples entrelaces, au début des années 1970, est très importante car elle a permis d’expliquer les sillons cycloïdaux compliqués laissés sur le sol par les tornades les plus puissantes.

    Des questions sans réponses

    Malgré les progrès récents, notre compréhension des tornades reste, dans certains domaines, bien limitée. Par exemple, la description que nous avons donnée de l’enchaînement des événements qui aboutissent à la formation d’une tornade est incomplète car elle s’applique surtout aux tornades fortes. Des spirales plus faibles peuvent naître en dehors du courant ascendant principal de l’orage le long de la ligne de front (le « front de rafales »), où l’air, refroidi par la pluie qui tombe du nuage générateur, se fraie un chemin vers le bas et fait remonter l’air chaud entrant. Il semble aussi que plusieurs autres processus puissent engendrer un mouvement de rotation suffisamment fort pour créer une tornade ; les détails de ces mécanismes et leurs relations ne sont pas encore connus.

    Le cœur de la tornade reste très énigmatique : on ne possède pratiquement aucune donnée quantitative sur la vitesse des vents et sur les chutes de pression qui y régnent. De tels renseignements présenteraient un intérêt plus qu’académique : par exemple, les architectes et les ingénieurs qui travaillent dans des régions sujettes aux tornades aimeraient savoir de quelle protection au vent ils doivent doter leurs constructions sans prendre de précautions inutiles ou de risques insensés. De plus, les chercheurs en météorologie ont besoin de ces informations pour répondre aux questions de base : comment évolue la vitesse de rotation dans un mésocyclone pour créer une tornade, quelle est la structure du courant ascendant, comment interagit-il avec les vents horizontaux comment et à quelle altitude le cœur se confond-il avec le courant dans le cyclone?
    La nature violente des tornades a poussé les météorologistes à étudier, avec quelque succès, des types plus accessibles de vortex en colonnes. En 1971, les observations aériennes effectuées par T. Fujita sur un grand tourbillon de poussière à vortex multiples (un tourbillon relativement faible) ont confirmé, pour la première fois, l’idée que des vortex multiples pourraient également exister dans des tornades violentes. Depuis 1970, une importante série d’expériences a été menée sur les trombes d’eau (un type de vortex qui se produit à la surface des océans) ; les trombes semblent mettre en jeu des vents moins rapides que leurs homologues terrestres et apparaissent habituellement au début de l’été aux environs de Key West en Floride. Des chercheurs ont photographié des trombes d’eau et effectué des mesures dans le cœur de celles-ci à l’aide d’instruments embarqués dans des avions. On ne sait cependant pas clairement si les résultats obtenus sur les trombes sont transposables aux tornades, et en particulier à celles qui sont fortes et violentes. Le courant dans les niveaux inférieurs de la trombe d’eau peut, par exemple, différer de celui d’une tornade parce qu’un vortex sur l’océan, circulant sur une surface lisse, est donc soumis à des frottements plus faibles.

    II n’existe pas de substitut à l’observation directe des tornades et, depuis la fin des années 1960, des chercheurs de l’Université d’Oklahoma et du Laboratoire National d’Étude des Orages Violents de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) à Norman, dans l’Oklahoma, ont systématiquement fait la chasse aux orages à tornades dans l’espoir d’obtenir des clichés et des films qui puissent être comparés aux observations radar et utilisés pour estimer la vitesse des vents. Depuis 1981, Howard Bluestein et ses étudiants de l’Université tentent de mettre en place au sol des instruments de mesure adaptés sur la trajectoire prévue des mésocyclones. Le système de mesure, surnommé toto (abréviation de Totable Tornado Observatory), a été mis au point par A. Bedard, du Laboratoire d’Étude de la propagation des Ondes de la NOAA à Boulder, dans le Colorado. toto est équipé pour mesurer la vitesse et la direction du vent, la pression atmosphérique, la température et l’intensité du champ électrique sous le cyclone à tornades. Jusqu’ici, H. Bluestein et ses collègues ont obtenu des renseignements sur quelques mésocyclones et ils ont fait au moins une découverte surprenante : la chute de pression sous un cyclone à tornades n’est pas aussi importante que prévue, ce qui suggère que la dépression la plus violente est très proche du cœur.
    On obtient des informations directes sur la nature du cœur au-dessus du sol avec de petites fusées mises au point par Stirling Colgate de l’Institut de Recherche Minière et de Technologie du Nouveau Mexique. On lance les fusées à partir d’un avion léger situé à un ou deux kilomètres de la tornade, et les mesures recueillies par les instruments qu’elles transportent sont renvoyées par radio à l’avion. Des lancements préliminaires dans des trombes d’eau et dans deux tornades ont montré que cette méthode est utilisable bien qu’elle nécessite encore des mises au point supplémentaires.

    Les dispositifs à effet Doppler

    On espère mieux comprendre le phénomène grâce à des techniques de télédétection : le radar Doppler et son plus récent partenaire, le lidar Doppler. Les dispositifs à effet Doppler mesurent la différence de fréquence entre une micro-onde ou un faisceau de lumière transmis et l’écho renvoyé par des gouttelettes d’eau ou des particules de poussière dans l’atmosphère. La fréquence augmente si la cible se déplace vers le radar, diminue si elle s’en éloigne, et reste inchangée si elle se déplace latéralement. La projection de la vitesse du vent sur la ligne de visée est alors proportionnelle à la valeur de la variation de fréquence.

    Les mesures par radar Doppler effectuées au cours des dix dernières années ont permis de préciser les phénomènes à grande échelle du courant interne d’un orage. Les mésocyclones en particulier engendrent des signaux facilement reconnaissables sur l’écran radar, parce que dans les mésocyclones, les vents tourbillonnant en altitude changent de direction sur une courte distance. C’est le radar Doppler qui a fourni la plus grande masse de données sur l’évolution des mésocyclones, comme par exemple le fait que le mouvement de rotation semble démarrer dans la troposphère moyenne avant de se propager vers le bas et vers le haut. L’utilité de cet instrument est limitée par sa résolution spatiale : les échos reçus, d’où l’on déduit la vitesse du vent et d’autres informations, proviennent d’un domaine cylindrique d’environ 300 mètres de long et 175 mètres de diamètre le long du faisceau du radar ; aussi le radar Doppler permet-il de rassembler des renseignements sur le flux d’air dans les orages à tornades mais ne peut pratiquement pas fournir de données sur le cœur des très grandes tornades.

    Au Laboratoire d’Étude des Orages Violents, Dusan Zmic et ses collaborateurs ont mis au point des techniques spéciales de traitement du signal Doppler afin d’obtenir des données sur la vitesse du vent dans les tornades géantes. Un violent cyclone de ce type – le diamètre maximal du tuba était supérieur à 1600 mètres – a touché Binger, dans l’Oklahoma, le 22 mai 1981. Les mesures radar ont montré que le tuba s’étendait jusqu’au sommet de l’orage générateur, à une altitude de 12 kilomètres, qu’il s’était formé en altitude et qu’il semblait contenir un courant central descendant (comme dans le cas d’une tornade violente à vortex multiples). La vitesse du vent était d’environ 320 kilomètres à l’heure.

    Des groupes de recherche au Laboratoire d’Étude des Orages Violents et au Centre National de la Recherche Atmosphérique à Boulder tentent d’améliorer la résolution du radar Doppler pour pouvoir aussi étudier des tornades plus petites. En fait, le dispositif le plus approprié à la résolution des détails du mouvement central est le lidar Doppler à infrarouge, dont le faisceau est mieux collimaté (et dont la résolution est meilleure) car le rayonnement infrarouge est de plus courte longueur d’onde. Ces dernières années, Ronald Schwiesow et ses collègues du Laboratoire d’Étude de la Propagation des Ondes ont testé un lidar portable sur des trombes d’eau, ce qui a permis de mesurer avec succès les vents dans le cœur de la trombe, à différentes altitudes et à différentes distances du centre. Bien qu’actuellement on ne cherche pas très activement à étendre ce travail aux tornades, le principe est très prometteur pour l’avenir.

    Prévoir les tornades est encore plus ardu qu’en comprendre la dynamique, mais l’application des méthodes Doppler incite à l’optimisme. C’est en partie parce que le radar Doppler permet de détecter si bien les mésocyclones que le Service Météorologique américain compte installer des dispositifs Doppler dans un grand nombre 4e stations météorologiques au début des années 1990. À l’aide des renseignements recueillis par les ballons et les satellites météorologiques, les météorologistes peuvent déjà, six à huit heures à l’avance, localiser avec un certain succès les régions « sensibles » où l’imminence d’une importante activité orageuse et la possibilité de formation d’une tornade sont à craindre. Les nouveaux radars aideront les météorologistes à sélectionner quels orages peuvent engendrer des tornades parmi tous ceux qui se développent dans une région sensible. On pourra alors prévoir plus sûrement et avec moins de fausses alertes une tornade locale.
    Ces renseignements ne seront cependant donnés, dans le meilleur des cas, qu’une demi-heure à une heure avant l’irruption du cyclone. Les tornades sont des phénomènes trop localisés et leur formation ainsi que leur comportement dépendent de trop de facteurs ; elles resteront donc vraisemblablement, dans une large mesure, imprévisibles. Les progrès récents des théories météorologiques et des techniques d’observation suggèrent néanmoins qu’il n’y a aucune raison pour que leur comportement demeure énigmatique.

    La Naissance des Tornades

    Robert Davies-Jones

    On a identifié les caractéristique des orages qui engendrent des tornades, mais les mécanismes de formation de ces violents tourbillons restent mystérieux.

    En 1995, les Etats-Unis ont vécu un printemps à tornades. Au mois de mai, 484 tornades ont tué 16 personnes et causé plusieurs millions de dollars de dégâts. Jour après jour, à la moindre alerte, mes collègues et moi quittons nos bureaux pour explorer les orages dans tout l’Oklahoma et le Kansas. Souvent, nous ne rentrions que tard dans la nuit, mais, dès neuf heures du matin, nous nous retrouvions pour faire le point : malgré la fatigue, nous étions prêts à repartir pour collecter de nouvelles données sur la naissance des tornades.

    Le mardi 16 mai, les conditions météorologiques étaient propices aux tornades dans le Kansas. Vers 17 heures, un orage a éclaté, alimenté par des vents du Sud, chauds, humides et tourbillonnants. Il était structuré en «supercellule», configuration idéale pour la formation des tornades. Accompagné d’un étudiant, nous approchions de l’orage par le Sud-est, à bord de la voiture-laboratoire Probe 1. Soudain nous avons aperçu, à environ 100 kilomètres, le monstrueux sommet de l’orage, qui s’élevait à près de 16 kilomètres d’altitude ; il se déplaçait vers le Nord-est à 50 kilomètres à l’heure.

    Alors que nous n’en étions plus qu’à une quinzaine de kilomètres, la longue et sombre base nuageuse nous est apparue. Quelques kilomètres plus loin, nous avons vu un tourbillon, telle une trompe d’éléphant suspendue à l’arrière du nuage principal. Nous l’avons perdu de vue en tentant de nous en rapprocher par des petites routes, puis nous l’avons retrouvé six kilomètres plus loin vers le Nord-Ouest : ce tube horizontal et fin, traîné par les nuages, se courbait à angle droit pour rejoindre le sol. Apparemment, la masse d’air froid qui descendait de l’orage l’écartait du nuage principal ; sa fin approchait.

    Les supercellules

    La plupart des tornades sèment la désolation sur une bande large de 150 mètres environ ; elles se déplacent à environ 50 kilomètres à l’heure et ne durent que quelques minutes. Les plus destructrices atteignent deux kilomètres de large, se déplacent à près de 100 kilomètres à l’heure et survivent plus d’une heure. Dans l’hémisphère Nord, les tornades dévastatrices des États-Unis du Nord-est de l’Inde et du Bangladesh tournent presque toujours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre – quand on les regarde du dessus. C’est le sens «cyclonique». Les tornades de l’hémisphère Sud comme celles de l’Australie, tournent généralement dans le sens inverse.

    En 1949, en étudiant les enregistrements de pression atmosphérique de stations météorologiques situées près des tornades, le météorologue américain Edward Brooks découvrit que les tourbillons se forment à l’intérieur de masses d’air plus importantes en rotation, nommées «mésocyclones». En 1953, le radar de la ville d’Urbana, dans l’Illinois, a décelé un mésocyclone en forme d’énorme crochet à l’extrémité Sud-ouest de l’orage : cette forme en crochet indique que les pluies (qui réfléchissent les micro-ondes du radar) sont entraînées dans un courant cyclonique. En 1957, à partir de photographies et de films d’amateurs, Théodore Fujita, de l’Université de Chicago, établit que la totalité de la masse nuageuse participe à cette ronde cyclonique.

    Au cours des années I960, le météorologue britannique Keith Browning rassembla les observations des radars, et reconstruisit une image précise d’une tornade. Il comprit que la plupart des tornades naissent dans des orages particulièrement larges et violents qu’il nomma supercellules. Ces puissantes structures se produisent dans un environnement très instable où les vents changent considérablement avec l’altitude et où une masse d’air froid et sec surplombe une masse d’air chaud et humide. Entre ces deux masses d’air, vers 1 500 mètres d’altitude, une mince couche stable empêche les mouvements verticaux de s’étendre en altitude.

    Ce couvercle saute lorsque le Soleil chauffe la couche inférieure ou lorsqu’une perturbation météorologique le frôle : front froids ou chauds, courants-jets (vents forts qui soufflent d’Ouest en Est, entre 8 et 12 kilomètres d’altitude), perturbations de haute altitude, fréquents dans ces plaines pendant la saison des tornades les forçages externes facilitent le soulèvement des masses d’air instables à basse altitude. À mesure qu’il monte, l’air chaud se détend et se refroidit. À une certaine altitude, la vapeur d’eau se condense en fines gouttelettes et forme la base horizontale du nuage.

    Lorsqu’elle se condense, la vapeur libère de la chaleur latente qui réchauffe l’air environnant. Ces paquets d’air deviennent plus chauds que leur environnement, montent avec une vitesse ascendante qui peut atteindre 200 kilomètres à l’heure, et viennent couronner l’orage en un «dôme». Toute cette colonne d’air ascendante est inclinée vers le Nord-est par les vents : un vent faible du Sud dans les basses couches et un vent d’Ouest plus fort en altitude (c’est le «cisaillement de vent»).

    L’ascension des masses d’air est ralentie par le poids des gouttelettes d’eau qui coalescent en gouttes de pluie ou en cristaux de glace. L’air ascendant s’arrête dans la stratosphère, puis redescend vers 12 kilomètres d’altitude, où il s’étale dans l’«enclume»  nuage caractéristique de l’orage. La pluie qui tombe de la colonne ascendante inclinée, s’évapore dans l’air sec à mi-hauteur, sur le côté Nord-est de la supercellule ; ainsi refroidi, cet air sec chute. Sous l’effet de la rotation de l’orage, le courant d’air froid et la pluie finissent par s’enrouler autour de la colonne ascendante. Cet air froid étant plus humide que l’air environnant dans les basses couches, il condense à plus bas niveau. Aussi, lorsque cet air est entraîné dans le courant ascendant, un nuage se forme à plus faible altitude : c’est le «mur».

    À la différence de la plupart des orages, où plusieurs courants ascendants et descendants interagissent, les supercellules ne contiennent qu’une ou deux cellules de convection, avec chacune leur propre courant descendant et une large colonne ascendante en rotation. Cette structure maintient la supercellule dans un état à la fois intense et quasi stationnaire, propice à l’apparition de tornades. Une colonne ascendante de un à cinq kilomètres de rayon commence à tourner avec des vents de 70 kilomètres à l’heure ou plus, et constitue un mésocyclone. Lorsque le mésocyclone est établi, l’orage peut engendrer un tourbillon à basse altitude, voire une tornade – en général du côté Sud-ouest de la colonne montante et à proximité d’un courant descendant.

    Finalement le courant d’air froid sectionne la colonne ascendante au ras du sol, et le mésocyclone meurt, enveloppé dans son linceul de pluie. Dans les supercellules les plus faibles, un nouveau mésocyclone peut se reformer sur le front de rafales (la frontière entre les niasses d’air chaud et froid) à quelques kilomètres au Sud-est de celui qui agonise. Ce jeune méso-cyclone peut alors engendrer une nouvelle tornade.

    La chasse aux tornades

    Où et quand les tornades apparaissent-elles? Nous avons d’abord analysé des films afin de déterminer les vitesses des vents et d’étalonner les observations des radars. Ce travail a révélé que les tornades se forment souvent dans les zones orageuses exemptes de pluie et d’éclairs, ce qui réfute les théories qui considèrent la pluie et les éclairs comme sources d’instabilités déclenchant les tornades. Enfin, l’observation d’une tornade anticyclonique, en 1975, a démontré que les rotations observées n’étaient pas des amplifications de celle de la Terre.

    Au cours des deux derniers printemps, nous nous sommes consacrés à l’étude de l’origine de la rotation des tornades. Une armée de véhicules-laboratoires a effectué des mesures à proximité et à l’intérieur des supercellules. À bord de l’un d’eux, un coordinateur de la chasse sur le terrain reste en contact avec les météorologues du Centre de Norman, qui nous guident vers les orages à étudier. Cinq véhicules contiennent des ballons destinés à effectuer des sondages de l’atmosphère proche et dans l’orage, tandis que 12 autres ont une station météorologique sur le toit. Placés à trois mètres de hauteur, bien au-dessus des perturbations dues aux véhicules, les instruments font des mesures qui sont enregistrées et traitées par des micro-ordinateurs embarqués.

    Un des 12 véhicules filme la tornade ; deux autres disposent de neuf «tortues», systèmes de mesures en forme de tortue, d’un poids voisin de 20 kilogrammes et munis d’une armature qui leur permet de résister aux tornades. Ces capteurs renforcés, placés tous les 100 mètres environ, mesurent la température et la pression au sol, à l’avant de la tornade.

    Les neuf autres véhicules sont chargés de relever des données météorologiques en des régions choisies de l’orage. Le véhicule Probe y mesure les gradients de température dans l’environnement Nord du mésocyclone, où les chutes de grêle sont les plus intenses. À deux reprises, cette année, des grêlons de la taille de balles de tennis ont fait voler en éclats le pare-brise.

    Le mardi 16 mai, dans le Kansas, alors que le tourbillon agonisait à l’arrière de l’orage, nous avons filé vers l’Est pour rejoindre un nouveau mésocyclone. Nous zigzaguions sous la pluie, sur la route gravillonnée, quand nous avons vu deux rangées de pylônes à haute tension couchés dans les champs, sectionnés à quelques dizaines de centimètres au-dessus du sol. Une puissante tornade devait se cacher dans la pluie, au Nord-est (le lendemain, nous avons appris que près de 150 pylônes avaient été fauchés).

    À environ 45 kilomètres à l’Est, nous avons repéré le mur nuageux, tel un piédestal large de quelques kilomètres, tournant et descendant du nuage principal. C’est alors qu’une mince tornade jaillit, non pas du sombre mur nuageux, comme à l’habitude, mais de la base d’une couche nuageuse supérieure. Ce tourbillon est resté le plus clair de son temps (quelques minutes) sous la forme d’un entonnoir suspendu dans les airs, et il n’a que brièvement touché le sol, soulevant quelques débris.
    Un nouveau mur, impressionnant par sa taille et par sa faible altitude, grossissait au Nord-est, mais il ne produisait aucune tornade. Un jeune orage se développait au Sud de celui que nous suivions. Nous avons continué vers le Nord pour nous assurer que notre vieil orage ne produirait plus de tornades, puis nous avons foncé vers le Sud pour rejoindre le nouveau.

    Anatomie d’un tourbillon

    Outre l’armée de véhicules que J’ai décrite, notre laboratoire utilise deux avions capables d’approcher les orages, ainsi que trois autres véhicules équipés d’un radar Doppler, instrument qui fournit de précieuses informations sur les mouvements de l’air au sein des orages. Le modèle le plus récent, un radar Doppler portable, élaboré cette année à l’Université de l’Oklahoma, a fourni des données d’une précision inégalée.

    Les radars à effet Doppler émettent des micro-ondes qui se réfléchissent sur les gouttes de pluie et sur les cristaux de glace ; on compare ensuite les ondes émise et réfléchie pour déterminer la vitesse des cibles. Ainsi, lorsque les gouttelettes se déplacent en direction du radar, la longueur d’onde de l’écho est plus courte que celle de l’onde émise, et la différence dépend de la vitesse des gouttes (la gendarmerie utilise des appareils semblables pour traquer les chauffards).

    En 1971, les premières mesures Doppler ont confirmé que les vents d’une structure «en crochet» tournent à une vitesse de 80 kilomètres à l’heure. Cette circulation apparaît à environ 5 000 mètres d’altitude ; puis elle engendre une rotation à plus basse altitude, qui précède toute tornade intense. En 1973, dans l’Oklahoma, on a observé une petite anomalie dans la distribution des vitesses d’un orage au même instant et au même endroit que l’apparition d’une violente tornade. Le radar n’avait pas la résolution suffisante pour montrer la tornade, mais il a décelé les brusques changements de direction des vents et des signes précurseurs dans les nuages. Un tel tourbillon apparaît à 300 mètres d’altitude environ, 10 à 20 minutes avant de rejoindre le sol. Il s’étire alors vers le haut et vers le bas, et atteint parfois 10 000 mètres de haut.

    On peut s’appuyer sur cette signature des tourbillons pour avertir les populations menacées et leur conseiller de se mettre en lieu sûr (cave ou pièce protégée), mais on ne la décèle que sur des distances inférieures à 100 kilomètres. Pour des distances de l’ordre de 200 kilomètres, on déclenche l’alerte quand les radars Doppler détectent un mésocyclone.

    En 1991, à l’aide d’un radar Doppler portable, on a décelé des vents de tornade soufflait à plus de 400 kilomètres à l’heure à proximité d’une puissante tornade. Bien que très élevées, ces vitesses sont loin des 750 à 800 kilomètres à l’heure qu’on proposait il y a 40 ans pour expliquer des observations incroyables, comme la découverte de morceaux de paille plantés dans des arbres (on suppose aujourd’hui que le vent ouvre les fibres du bois/ qui se referment ensuite en piégeant la paille).

    Si un seul radar Doppler suffit à la prévention, l’étude des phénomènes nécessite un deuxième appareil Doppler, disposé à environ 50 kilomètres et présentant un autre angle de vue : on mesure alors la vitesse de la pluie dans deux directions différentes. En utilisant des équations de conservation de la masse de l’air et en évaluant la vitesse relative de la pluie par rapport à l’air en mouvement, les météorologues reconstruisent dans l’espace le champ de vitesses du vent et calculent des paramètres tels que la distribution des tourbillons à l’intérieur de l’orage. Ces études ont confirmé qu’une tornade naît sur le flanc de la colonne ascendante, à côté d’un courant descendant, et que l’air qui circule dans un mésocyclone s’enroule autour de la direction de son déplacement.

    Une spirale infernale

    L’année 1978 marque un progrès important dans la compréhension des mouvements de rotations dans les orages à tornades : Robert Wilhelmson, de l’Université de l’Illinois, et Joseph Klemp, du Centre américain de recherches atmosphériques, ont obtenu dans leurs simulations informatiques des supercellules réalistes qui présentaient des zones de précipitations en forme de crochet. À des temps successifs, en tout point d’un réseau tridimensionnel représentant l’espace, leur programme calculait les variations de température, de vitesse du vent et de changement d’état de l’eau entre ses diverses formes (vapeur, gouttelettes d’un nuage et gouttes de pluie).

    Dans ce monde numérique, des supercellules se forment dans un état initial homogène, ce qui réfute l’idée largement répandue selon laquelle les tornades violentes résulteraient de collisions entre masses d’air différentes. En omettant dans les équations la rotation de la Terre, R. Wilhelmson et J. Klemp ont montré que celle-ci n’avait qu’un faible effet dans les premières heures d’existence d’un orage. C’est plutôt la rotation du vent selon un axe vertical qui détermine le sens d’un tourbillon.

    Dans l’environnement habituel des supercellules, les vents tournent avec l’altitude : au ras du soi, le vent souffle du Sud-est ; à 800 mètres d’altitude, il souffle du Sud et, à 1500 mètres d’altitude, il vient du Sud-ouest. De tels vents qui changent de vitesse ou de direction avec l’altitude engendrent une rotation. Imaginons en effet un mât vertical flottant librement dans l’air (sans point d’attache avec le sol) : si un vent du Sud souffle faiblement près du sol et plus fort en altitude, le mât tourne dans un plan vertical autour d’un axe Est-Ouest. Si maintenant le vent, au lieu de changer de vitesse, change de direction : il vient du Sud-est près du sol et du Sud-ouest en altitude. Alors le mât se déplace vers le Nord, dans la direction du vent à mi-hauteur, mais son sommet est poussé vers l’Est, tandis que sa base est poussée vers l’Ouest : le mât tourne dans un plan vertical autour d’un axe Nord-Sud (voir la figure 4). Autrement dit, ce courant d’air tourne comme une hélice, autour de la direction de son déplacement.

    Lorsque ce courant hélicoïdal pénètre dans une colonne ascendante, son axe de rotation est dévié vers le haut. Il communique donc à la colonne ascendante un mouvement de rotation cyclonique. Dans les années 1980, nous avons démontré cette théorie, que K. Browning avait proposée en 1963. Elle explique comment la colonne ascendante tourne à mi-hauteur, mais n’explique pas comment elle se met à tourbillonner très près du sol. En ‘1985, les simulations de J. Klemp et de Richard Rotunno ont montré que la rotation à basse altitude dépend du courant descendant de la supercellule, qui contient de l’air refroidi par l’évaporation : quand cette évaporation n’a pas lieu, aucune rotation n’apparaît près du sol.

    Les simulations ont montré, à notre grande surprise, que la rotation de basse altitude est amorcée au Nord du mésocyclone, dans la masse d’air légèrement refroidie par la pluie. Alors qu’à mi-hauteur, le courant descendant s’enroule, dans le sens cyclonique, autour de la colonne ascendante, une partie de l’air froid se dirige vers le Sud, avec, à sa gauche, l’air chaud pénétrant dans la supercellule et, à sa droite, de l’air encore plus froid. L’air chaud s’élève et soulève le flanc gauche de ce courant, alors que l’air froid de droite le bascule vers le sol. Ainsi commence le mouvement hélicoïdal de l’air froid autour de son axe de déplacement horizontal. Comme cet air froid descend en même temps son axe de rotation est dévié vers le bas ce qui donne une rotation anticyclonique. En 1993 nous avons montré que la rotation de ce courant d’air descendant s’inverse avant qu’il n’atteigne la surface. Une circulation d’air cyclonique peut apparaître près du sol. Cet air froid rasant est aspiré dans la partie Sud-ouest de la colonne ascendante. À mesure que l’air converge vers cette colonne, la rotation s’accélère de même qu’une patineuse tourne plus vite quand elle ramène les bras le long du corps.

    Nous cernons mieux comment naissent les vents tournants dans le méso-cyclone, à moyenne altitude et près du sol mais il nous reste à montrer pourquoi les tornades se forment. L’explication la plus simple est qu’elles résultent des frottements sur le sol. Cette explication semble paradoxale, puisque les frottements ralentissent généralement les vents. Toutefois un tel effet est connu dans une tasse de thé que l’on remue. Dans le liquide en rotation, un équilibre s’instaure entre la force centrifuge et la force de pression centripète due à la dépression créée au centre. Au fond de la tasse, le frottement réduit les vitesses, et donc la force centrifuge. Au fond de la tasse, le liquide se déplace alors vers le centre, comme en attestent les feuilles de thé qui se rassemblent sur le fond et au centre de la tasse. Cependant, en raison de cette convergence et de «l’effet patineuse», la rotation du liquide s’accélère : un tourbillon apparaît le long de l’axe de la tasse. Stephen Lewel-len, de l’Université de Virginie, en déduit que, dans une tornade, les vents les plus rapides soufflent dans les 300 premiers mètres au-dessus du sol.

    Avec les frottements, on explique également la longévité des tourbil1ons. Une tornade crée un vide partiel en son cœur, car les forces centrifuges empêchent l’air d’y pénétrer. En 1969, l’Australien Bruce Morton a expliqué comment le vide se maintient : des forces d’Archimède intenses empêchent l’air de pénétrer par le haut. Près du sol, le frottement réduit la vitesse tangentielle de l’air, de même que les forces centrifuges, ce qui autorise l’arrivée d’un courant d’air dans le cœur. Cependant le frottement limite également cette alimentation et ne laisse pas passer assez d’air pour remplir le cœur. De cette manière, les tornades s’intensifient et se stabilisent, surtout lorsqu’elles entrent en contact franc avec le sol : l’alimentation se réduit à une mince couche d’air.
    La théorie des frottements n’explique toutefois pas pourquoi le tourbillon qui constitue la signature des tornades apparaît en altitude, dans les nuages, et précède parfois de 10 à 20 minutes le contact d’une tornade avec le sol.

    Le contact avec le sol

    Le 16 mai, nous avons eu la chance d’observer nombre des comportements caractéristiques des tornades. Nous nous dirigions vers le nouveau foyer orageux, au Sud, mais la nuit tombait et notre traque allait se terminer. Toutefois, le coordinateur de la chasse nous annonça la présence dans notre voisinage d’un mur nuageux tournant rapidement. Alors que les sirènes d’alarme hurlaient, une étroite tornade serpenta et s’abattit à cinq kilomètres au Sud-est de notre véhicule.

    Nous sommes repartis vers le Nord pour lui barrer la route. Dans notre excitation, nous n’avons pas évité le bas-côté, mais nous avons continué, avec une roue et notre station météorologique endommagées. Nous nous sommes engagés sur une piste vers l’Est pour rejoindre le côté Nord de la tornade. Elle était devenue une large colonne de poussières, reliant le sol à une masse nuageuse en forme de bol émergeant de la base du nuage principal. À mesure que nous nous en approchions, elle se divisait en plusieurs petits tourbillons qui tournaient furieusement autour de l’axe de la tornade. En 1967, T. Fujita a observé que certaines tornades laissaient dans des champs de maïs plusieurs sillons croisés d’épis décapités. Plus tard, on a compris que ces curieux phénomènes étaient causés par des tourbillons secondaires. Ces tourbillons frénétiques suivent un chemin cycloïdal, identique à celui d’un point de la jante d’une roue qui roule.

    Nous fuyions devant la tornade, quelque peu inquiets, car nous étions presque à court de carburant et nous ne connaissions pas l’état de la piste. La tornade n’était qu’à un kilomètre et demi et nous semblait immobile, ce qui indiquait qu’elle se dirigeait droit vers nous/ à une vitesse de 50 kilomètres à l’heure. Le coordinateur de la chasse vint à notre secours en nous indiquant une route au Nord, que nous avons empruntée avec soulagement. Nous nous sommes arrêtés deux kilomètres plus loin pour regarder passer la tornade. Elle avait raclé la terre sur 20 kilomètres et avait maintenant la forme classique d’un tuyau de poêle. Elle nous a dépassés au Sud et a disparu dans l’obscurité, à l’Est.

    Nous avons regagné nos pénates, la voiture endommagée, les mesures incertaines et le cœur palpitant, pressés de découvrir le merveilleux butin des radars embarqués dans les avions et au sol. À la réflexion, nous aurions dû suivre la tornade au lieu de la dépasser et de nous transformer, nous les chasseurs, en gibier.

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